Egypte: le vertige des possibles
Faut-il craindre un « hiver islamiste » après le printemps arabe ? La réponse est OUI… Les frères ont confirmé leur influence sur la société égyptienne. La majorité des électeurs leur a fait confiance le 17 juin, notamment pour restaurer l’autorité de l’Etat et lutter contre la corruption.
Mais il faut y ajouter un MAIS.
Depuis le début de l’année, il faut lire le résultat des élections égyptiennes avec attention. La double victoire des Frères musulmans aux législatives comme à la présidentielle est plus paradoxale qu’il n’y paraît.
Lors des législatives en janvier, le parti des Frères musulmans (Parti de la liberté et de la justice) a remporté presque 45% des suffrages. Avec les 22,5% des salafistes (Parti de la Lumière), la mouvance islamiste enlevait 67% du premier parlement démocratiquement désigné.
Enivrés par ce succès et contrairement à leur promesse de ne pas accaparer tous les pouvoirs, les Frères ont finalement proposé Mohamed Morsi à la présidentielle. Cette pirouette électorale leur a coûté des voix. Les électeurs égyptiens, tout novices qu’ils soient, n’ont pas été dupes. Au premier tour de la présidentielle, le candidat des Frères musulmans n’engrange plus que 27,8% des suffrages alors que le candidat des salafistes a été empêché de se présenter.
C’est le dernier premier-ministre de Moubarak, Ahmed Chafik, qui décroche la deuxième place avec 23,7% des voix. Ce dernier avait été contraint à la démission par les manifestants après la violente intervention des chameliers de Gizeh sur la place Tahrir.
Ni les Frères ni l’ancien ministreLa vraie surprise de ce premier tour reste le troisième homme: Hamdine Sabahi, du Parti de la Dignité, remporte 20,7%. Il représente l’ancienne mouvance nassérienne. Si on ajoute le dissident expulsé des Frères musulmans, Abdel Abou El-Foutouh (17,4%), l’ancien ministre des affaires étrangères et chef de la ligue arabe, Amr Moussa (11,1%), sans oublier les nombreux petits candidats, on peut considérer que plus de la moitié des Egyptiens ne souhaitaient ni les Frères musulmans ni le retour d’un ancien du régime.
Du coup, au moment du deuxième tour en juin, les Egyptiens qui soutenaient une évolution démocratique se sont trouvés devant un dilemme insoluble. Contraints de choisir entre « la peste et le choléra », la moitié des Egyptiens se sont abstenus. Mohamed Morsi a été déclaré vainqueur de son rival avec juste 51,7%. On est loin du triomphe des législatives.
Pouvoir sous contrôleUne analyse de ces résultats montre que le nouveau pouvoir égyptien doit se savoir sous contrôle de sa propre population. Les Frères musulmans passent par l’épreuve du pouvoir démocratique ; ils doivent respecter les autres acteurs de la vie publique.
La question est maintenant de savoir s’ils se montreront à la hauteur de cette exigence. Sauront-ils pour cela écouter leur jeunesse qui souhaitent faire évoluer le mouvement en direction des valeurs démocratiques ? Auront-ils la sagesse d’associer au pouvoir plus de 50% d’Egyptiens qui, au premier tour, ne voulaient ni les Frères ni un personnage de l’ancien du régime ?
Sans oublier l’emprise de l’armée qui cherche à préserver ses privilèges, quitte à abuser de ses prérogatives. Le nouveau président égyptien devra composer avec des militaires qui ne cèderont ni sur les alliances avec les Etats-Unis, ni sur les accords de paix avec Israël.
Aujourd’hui, tout peut arriver… donc tout est possible. La subtilité de la situation égyptienne interdit toute vision simpliste. C’est peu rassurant, mais c’est aussi une chance à saisir. L’islam politique peut encore prendre le virage de la pluralité démocratique. Même si la voie reste plus étroite que jamais.