L'église dans la crise grecque

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L'église dans la crise grecque

Sabine Pétermann
31 août 2012
En Grèce, l'Eglise orthodoxe et les citoyens s'organisent pour tenter d'éviter un krach social.
(Photos@Sabine Pétermann)

, RTS, Bonne Nouvelle

Les rues d’Athènes semblent désertes comme chaque année au mois d’août. Pourtant, une grande partie de la population n’a pas pu partir en vacances pour fuir la chaleur accablante. Dans les rues marchandes des beaux quartiers, de nombreuses arcades ont mis la clef sous la porte. Fermées pour cause de crise. Les rues piétonnes, les terrasses de café sont étrangement calmes. Comment aller manger dehors si on n’a pas de quoi boucler les fins de mois?

Au centre d’Athènes, rue Sophocle, c’est la soupe populaire. L’Eglise orthodoxe distribue 700 repas par jour. La queue s’allonge chaque mois davantage. Toujours plus de femmes, d’enfants, de personnes âgées, et surtout de plus en plus de citoyens grecs. Dans l’évêché d’Athènes, l’Eglise distribue plus de 10 000 repas quotidiens ainsi que des paquets de nourriture. Dans l’évêché d’Athènes, l’aide sociale occupe la moitié du budget global alors qu’un quart concerne son fonctionnement et un quart les taxes.

Contrairement aux rumeurs, l’Eglise orthodoxe paie ses impôts. Elle est présente dans la société avec des maisons de retraite, des écoles, un soutien spirituel et psychologique à la population. Bien placée pour identifier les besoins, elle est partenaire de nombreuses initiatives. Par exemple, ce cabinet social à Hellenikon dans le sud d’Athènes, ouvert en janvier dernier à l’initiative d’un cardiologue.

En quelques mois, deux cents bénévoles se sont engagés. Médecins et personnel soignant donnent un jour par semaine de leur temps pour des consultations gratuites à une population sans emploi et sans assurance maladie, toujours plus nombreuse.

«Agir me donne la sensation de ne pas subir, déclare Nikos, 17 ans, bénévole. Mes parents sont très préoccupés. Comme j’ai du temps libre durant les vacances, je suis heureux de faire ma part.» Dans cette crise sans précédent, le terme de solidarité est sur toutes les lèvres et beaucoup la pratiquent au quotidien.

La chaîne privée de radio et télévision Sky, en partenariat avec l’Eglise orthodoxe et l’association des médecins, a lancé une vaste campagne de récolte de médicaments et de nourriture dans 4000 supermarchés du pays. La clientèle peut déposer dans un caddie de la nourriture qui sera ensuite redistribuée par l’Eglise. Un million de kilos de nourriture ont été récoltés.

Chaque samedi, des médicaments sont collectés, pour être ensuite triés et redistribués par des médecins bénévoles. «La situation est difficile, car tout le monde a peur de ce qui va arriver», déplore Vassiliki Iliopoulou, professeur et volontaire au cabinet social d’Hellenikon. «Nous n’achetons plus rien, il n’y a plus de flux d’argent, l’économie est paralysée. La situation est dramatique, car l’avenir ne débouche plus sur rien. Il y a de plus en plus de dépressions et de suicides.»

La colère gronde

Les Grecs sont amers et en colère. Ils ont le sentiment d’avoir été trahis et abandonnés par les politiques grecs et par l’Union européenne. L’incertitude torture et menace au quotidien. Même si la fréquentation de l’Eglise a diminué, la plupart des Grecs sont croyants, se sentent orthodoxes et vont à l’église pour les fêtes.

Pour le Père Malcolm, prêtre anglican établi de longue date en Grèce, «les relations entre les citoyens et l’Eglise ne ressemblent pas à celles que nous avons en Europe occidentale. Ici, croire en Dieu est aussi naturel que respirer. Dieu est Dieu et personne ne le conteste.» Personne ou presque. Une minorité d’athées et certains croyants sont plus critiques. «L’Eglise est une organisation traditionaliste, analyse Jésus au volant de son taxi jaune.

Elle a toujours été paternaliste, plutôt que d’aider le peuple grec à gagner son propre pain. Il ne suffit pas d’offrir une bouchée de pain. Pourquoi l’Eglise ne dénonce-t-elle pas publiquement les dérives du clientélisme ou les prises de positions du parti néonazi Aube dorée? N’est-ce pas contraire à l’évangile?» s’indigne-t-il.

La crise morale

Pour le Père Chrysostome, directeur financier de l’Eglise, «l’Eglise ne fait pas de politique et cette crise est universelle, morale et éthique. Chaque jour, il faut trouver de nouvelles stratégies pour surmonter la crise. Il faut dépasser les murs de l’Eglise, car les préoccupations spirituelles viennent en second plan. L’essentiel est de satisfaire les besoins vitaux de chacun, sans discrimination confessionnelle.

C’est une question de dignité humaine!» Christos Yannaras, théologien, philosophe et professeur émérite à l’université d’Athènes très présent dans les médias grecs, analyse la situation. «Aujourd’hui, la Grèce n’a pas grand-chose à apporter à l’UE, car elle n’est qu’imitation des autres Etats, affirme-t-il. Il faudrait qu’un parti politique ait conscience de la particularité hellénique et lui donne une expression politique.

Notre particularité, c’est notamment une primauté de la communauté et des relations interpersonnelles par rapport à l’individu. La Grèce pourrait apporter cette spécificité dans le concert des nations.» Pour le théologien, l’Eglise orthodoxe reste une ressource décisive pour la Grèce: «Gardienne des traditions, elle a la responsabilité de transmettre cette conscience hellénique.»

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A suivre sur la Radio-télévision suisse. Espace 2, «A vue d’esprit» du 10 au 14 septembre à 16h30, «La Grèce, la crise et la foi». La Première, «Hautes fréquences» du 9 septembre à 19h, «L’Eglise orthodoxe et la crise».