Les protestants allemands risquent de manquer de pasteurs

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Les protestants allemands risquent de manquer de pasteurs

Matthias Kamann
8 octobre 2012
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Parce qu'il n'y a pas assez de jeunes qui étudient la théologie, beaucoup de postes demeureront vacants dans les paroisses protestantes allemandes. Pendant longtemps, le manque de relève est apparu comme un problème exclusivement catholique. (Photo: Joachim Gauck, l'actuel président de l'Allemagne, est un ancien pasteur est-allemand. Il est au côté de la chancelière Angela Merkel)

, Die Welt

Après l’Eglise catholique, c'est au tour de l’Eglise protestante d'aller au devant d'un manque de pasteurs. Sur le terrain, l’Eglise évangélique de Rhénanie-Palatinat, dans le sud-ouest de l'Allemagne, a cherché à savoir quelle pourrait être l’évolution, dans les quinze ans à venir, du nombre des postes de pasteurs et de celui des pasteurs eux-mêmes. Résultat: à partir de 2023, il y aura moins d’ecclésiastiques que de postes offerts.

Certes, il est d’ores et déjà prévu de réduire le nombre des postes, étant donné que l’effectif des fidèles est aussi en diminution. Mais la suppression de postes ne suffira pas: il y aura trop peu de pasteurs pour les postes restants. A la fin de la décennie à venir, il devrait y avoir dans le Palatinat 400 postes de pasteur (actuellement: 470), alors que, en comptant avec la relève disponible selon les prévisions, il n’y aura plus qu’environ 320 théologiennes et théologiens pour occuper ces postes.

Aujourd’hui déjà, on constate dans un autre Land, celui de la Bavière, que dans les régions rurales, déjà 20 à 30% des postes de pasteurs de l’Eglise protestante sont vacants. Situation identique en Hesse-Nassau: la relève manque. Et elle manque à tel point que même avec, là aussi, une forte compression des postes, il n’y aura pas assez de théologiens pour occuper tous les postes pastoraux restants.

Suppression d’un quart des postes d’ici 2030

L’Eglise évangélique d’Allemagne (EKD) s’est fixé pour but de réduire d’ici 2030 le nombre des pasteurs sur tout le territoire allemand à 16 500, ce qui représenterait une diminution d’un bon quart par rapport à aujourd’hui. Mais le nombre des jeunes qui poursuivent des études de théologie complètes diminue dans une mesure beaucoup plus forte.

Au semestre d’hiver 1992/93, il y avait encore 7800 étudiants en théologie protestante sur les listes qui servent de base à l’évaluation du nombre des futurs candidates et candidats au ministère pastoral. Au semestre d’hiver 2011/12, le total des étudiants figurant sur les listes n’était plus que de 2400. La même chose vaut pour les personnes qui arrivent sur les listes. En 1992/93, on comptait 786 nouvelles inscriptions, alors qu’en 2011/12 elles n’étaient plus que 372, soit moins de la moitié.

Cet effectif restreint de jeunes théologiennes et théologiens ne suffira pas à compenser le départ des personnes qui s’approchent de la retraite. Pour reprendre l’exemple du Palatinat: parmi les pasteurs qui partiront à la retraite entre 2023 et 2029 – nés dans les années 1957 à 1963 – figurent 226 théologiens exerçant le ministère pastoral. Or le nombre des étudiants inscrits sur les listes qui pourraient leur succéder – nés dans les années 1984 à 1990 – s’élève tout juste à 54.

Le sentiment d’insécurité des pasteurs

Lorsque l’Association des pasteures et pasteurs de l’Eglise protestante, qui représente les intérêts de quelque 21 000 théologiennes et théologiens, a discuté ces chiffres le lundi 17 septembre lors de sa réunion annuelle à Hanovre, deux raisons ont été avancées pour expliquer ces sombres perspectives. Premièrement, le découragement dû au fait que, dans les années 1990, les candidats au ministère avaient peu de chances de trouver un poste – les autorités de l’Eglise estimaient alors que la relève était trop nombreuse.

Deuxièmement, estime-t-on dans l’Association, le ministère pastoral n’apparaît plus comme une profession attrayante: des paroisses et des domaines d’activité toujours plus vastes font que la charge de travail s’alourdit continuellement; en outre, les réformes opérées dans la profession font que les théologiens sont soumis en permanence à de nouvelles exigences, et en butte à des critiques leur reprochant de prétendues insuffisances.

«Il y a un rapport direct entre le manque de relève et le sentiment d’insécurité des pasteurs», a déclaré le président de l’Association Thomas Jakubowski au journal Die Welt.

Effectivement, l’Eglise est loin de s’être montrée prévenante à l’égard de la relève, et elle n’a pas été tendre non plus avec les pasteurs âgés, dont beaucoup sont victimes du surmenage.

«L’image du pasteur que se font les autorités de l’Eglise témoigne d’un fort scepticisme», a indiqué à Hanovre la professeure de théologie Isolde Karle, chargée de recherches sur la situation des ecclésiastiques. Isolde Karle constate que les signaux envoyés par les autorités de l’Eglise aux ecclésiastiques se résument ainsi: «Si vous n’optimisez pas vos prestations, nous devrons supprimer des postes.»

Disparition de l’intérêt intellectuel

Parfois, indique Isolde Karle, on fait aux pasteurs des suggestions qui ne vont pas dans la bonne direction: par exemple quand les autorités de l’Eglise affirment que l’intérêt pour la religion s’accroît dans la société et que, par conséquent, les pasteurs devraient développer les effectifs de leurs paroisses. «Le marché religieux n’est pas si large», note-t-elle, en faisant observer que des formes de croyance populaires comme l’ésotérisme ou une spiritualité diffuse ne sont pas touchées par la prédication chrétienne. Dans ce cas, une incitation permanente de la part de la hiérarchie peut être source de frustration.

«Assurer une relève de bonne qualité constitue un problème aujourd’hui», estime la professeure de théologie qui, comme l’Association, est d’avis qu’on devrait utiliser les impôts ecclésiastiques, actuellement à un excellent niveau, pour créer des postes plus attrayants.

Toutefois, on a beaucoup de raisons de penser que le manque de relève a d’autres causes que le seul problème du profil des postes. Ainsi, les professeurs se plaignent depuis longtemps du fait que les études de théologie ne suscitent plus guère d’intérêt intellectuel chez les jeunes, si bien que, pour reprendre les termes d’un enseignant universitaire, «nous n’attirons plus les meilleurs bacheliers de l’année, et par conséquent nous perdons en force de rayonnement avec ces générations.»

A cela s’ajoute que précisément les étudiants ayant des ambitions académiques sont découragés par certains de leurs condisciples dans les facultés. Tout au moins dans quelques universités, il semble qu’il y ait de plus en plus d’évangéliques fondamentalistes qui ne s’intéressent guère à la dimension scientifique, mais recherchent plutôt le salut personnel en petits groupes et s’isolent, de ce fait, du reste de la culture académique. (fn)