Santé: Les Suisses ne veulent pas d'une limitation des frais de traitement

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Santé: Les Suisses ne veulent pas d'une limitation des frais de traitement

Felix Reich,
9 novembre 2012
Faut-il fixer une limite aux frais de traitement des patients? Trois Suisses sur quatre disent non. C’est ce que montre une enquête du périodique alémanique reformiert.info.

reformiert.info

Quel montant maximum peut être mis à la charge de la société pour qu’une personne gravement malade reste en vie une année de plus? En automne 2011, le conseiller national tessinois Ignazio Cassis (PLR) interpellait le Conseil fédéral sur ce sujet délicat. Il demandait que des limites soient fixées au financement des frais de traitement par la collectivité.

Le contexte? Un arrêt du Tribunal fédéral (TF) de 2010. Les juges avaient alors décidé que les caisses maladie n’étaient pas obligées de prendre en charge tout ce qui est médicalement possible. Et ils ont demandé que la politique détermine des valeurs limites, de manière que la sécurité du droit règne et que les médecins n’interrompent pas une thérapie, dans un cas d’espèce, pour des raisons de coûts.

Pareil pour l'avortement

Pour la première fois, reformiert.info a interrogé la population sur ce thème politiquement et éthiquement explosif. L’enquête représentative menée par l’institut de sondage d'opinion «isopublic» pour le compte de «reformiert.info» donne une réponse claire: le peuple ne veut pas de valeurs limites. 75,6 pour cent des personnes interrogées refusent l’établissement de prescriptions légales. Les femmes sont même 80,3 pour cent à dire non – et cela bien qu’une nette majorité soutienne l’affirmation selon laquelle le système de santé est trop coûteux.

L’enquête a été menée entre le 13 et le 19 septembre 2012 en Suisse alémanique et en Suisse romande. 1011 interviews ont été évaluées, sur la base d’un questionnaire en ligne élaboré par la rédaction de l'hebdomadaire sur le thème « Ethique et médecine ».

Les résultats le montrent: la population tient au principe de la solidarité; elle approuve très largement l’idée que chaque être humain, quels que soient son âge et son espérance de vie, a droit à une prise en charge médicale optimale. Et la demande formulée dans une initiative populaire en cours visant à ce que les interruptions de grossesse ne soient plus prises en charge par les caisses maladie est clairement rejetée. Même dans les milieux de l’Eglise libre, le soutien n’est pas bien grand.

Mais la solidarité s'effrite

Pourtant, la solidarité commence à s’effriter. Une faible majorité serait prête à refuser aux alcooliques une transplantation du foie aussi longtemps que des jeunes attendent un tel organe. De même, des réductions de prestations pour les pratiquants de sports à haut risque et des primes maladie plus élevées pour les fumeurs sont soutenues, même timidement. De manière générale, on enregistre une légère tendance à admettre que les personnes qui ont vraisemblablement contribué à l’apparition d’une maladie par leur comportement malsain ou risqué devraient supporter personnellement une plus grande partie des frais de traitement.

Ces fissures dans le système de solidarité sont en rapport avec les causes mentionnées par les personnes interrogées pour expliquer l’explosion des coûts: pour 32,1 pour cent, la raison principale est le comportement des patients qui se rendent chez le médecin pour un oui ou pour un non. Tout juste après, on trouve 31,8 pour cent de personnes pour estimer que la faute en revient à l’industrie pharmaceutique.

L’idée de la responsabilité propre est défendue encore plus nettement dans la réponse à une question de principe: 57,9 pour cent de personnes sont convaincues que c’est en premier lieu le comportement de vie personnel – fumée, stress, surpoids ou consommation d’alcool – qui rend malade, bien plus que la prédisposition génétique ou le niveau de développement de la société. Et pour beaucoup, le rétablissement dépend dans une mesure décisive de l’attitude intérieure du patient, élément qui se classe en deuxième position, tout juste derrière la qualité des soins médicaux. (trad. F. N., adaptation S. R.)


Un résultat qui réjouit aussi bien l'éthicien que les assureurs maladie


« Une affirmation d’une clarté réjouissante », constate Markus Breuer, de l’Institut Dialog Ethik, organisation à but non lucratif qui étudie « la question de la meilleure action possible dans le système de santé et le système social ». L’éthicien voit là une confirmation de sa conviction: « Il est impossible de définir la valeur de la vie seulement en termes d’argent. »

Du côté opposé, chez les caisses maladie, on applaudit également à ce résultat clair de l’enquête. Paul Rhyn, porte-parole de santésuisse, association faîtière des assureurs maladie suisses, estime que cela confirme la pratique actuelle: « Des valeurs limites fixes n’apportent rien, elles ne font que créer de nouvelles injustices. » Chaque cas, selon lui, doit être apprécié individuellement.

Mais sur quoi s’appuient les caisses dans leurs appréciations? La première préoccupation est l’efficacité d’un traitement, indique Paul Rhyn. Il y a des traitements coûteux qui ne sont efficaces que chez les jeunes. En conséquence, les caisses ne devraient pas financer de tels traitements pour des patients âgés. En fin de compte, les caisses ont l’obligation légale de rechercher des solutions économiques. Et qui décide dans de tels cas? « Pour les maladies rares et les médicaments coûteux, ce sont les médecins-conseils qui jugent », explique Paul Rhyn.

Mentalité de libre-service
Toutefois, certains traitements ont aussi été appréciés récemment par des institutions telles que le Swiss Medical Board. Mais cet organe spécialisé indépendant analyse les opérations et les thérapies principalement sur la base de critères financiers. « Ce n’est pas immoral, c’est inéluctable », lit-on sur la page d’accueil du Medical Board.

La question ne doit pas être: ‘Pouvons-nous nous offrir cela?’ Nous pouvons nous le permettre encore longtemps! La question doit être plutôt: ‘Voulons-nous nous offrir ce système de santé?
’ Selon l'éthicien Markus Breuer, tout ce qui est faisable sur un plan médical n’a pas impérativement à être financé. C'est clair. Mais il n’est pas d’accord qu'on ne parle que des coûts du système de santé. « La question ne doit pas être: ‘Pouvons-nous nous offrir cela?’ Nous pouvons nous le permettre encore longtemps! », explique-t-il. « La question doit être plutôt: ‘Voulons-nous nous offrir ce système de santé?’»

Markus Breuer demande un large débat sur des valeurs éthiques telles que la solidarité, l’assistance, le respect dans l’approche de la maladie et de l’infirmité, et la confrontation sérieuse à la mort. Il faut discuter aussi de la mentalité de libre-service qui se manifeste dans le système de santé, et de l’autonomie limitée des patients.

Qui sinon l'Eglise?

Le théologien Markus Breuer veut ramener ces discussions dans le cadre de la société. Les Eglises devraient distinguer leur rôle dans cette perspective, estime-t-il, car finalement l’approche des nécessiteux, des malades et des souffrants est une ancienne préoccupation chrétienne: « Qui, sinon l’Eglise, est interpellé quand les valeurs humaines sont en jeu, quand il n’y a plus que l’argent qui compte dans le système de santé, ou quand les êtres humains, grâce aux techniques les plus modernes, vivent plus longtemps, mais pas forcément mieux? »

Le représentant des caisses maladie Paul Rhyn demande lui aussi une discussion sur les limites de ce qui est faisable. Il déplore surtout qu’il manque dans le monde politique une vision de la direction dans laquelle le système de santé devrait se développer. Récemment, une proposition est arrivée du Palais fédéral selon laquelle l’assurance de base devrait être libérée des cas à risques. Mais ce n’est pas une voie acceptable, selon le représentant des caisses: « Cela ne ferait que compliquer les choses, et par conséquent les rendre plus chères.» Rita Jost, reformiert.info