Un changement de perspective dans l’œcuménisme ?

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Un changement de perspective dans l’œcuménisme ?

Pierre Bühler
21 novembre 2012
Les journaux l’ont rapporté de manière plus ou moins détaillée: pour l’ouverture de l’Assemblée des délégués de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse, Gottfried Locher, le président du Conseil, a appelé à un changement de perspective dans l’œcuménisme.
, professeur de théologie, Neuchâtel/Zurich

Selon lui, les dialogues avec l’Eglise catholique-romaine tournent en rond, si bien qu’on s’y épuise inutilement; il vaut donc mieux concentrer ses efforts là où ils sont plus prometteurs de succès, à savoir entre les Eglises de la „famille“ protestante. En avant donc pour un „œcuménisme évangélique“! (Photo: La famille protestante à table, tableau d'un maître anonyme, 16e siècle)

Evidemment, il n’en va pas pour Gottfried Locher d’abandonner purement et simplement le dialogue catholique-protestant. Il souligne que celui-ci doit continuer, parce que nous partageons des traditions, des origines communes. Mais apparemment il ne semble plus constituer un souci prioritaire.

Ce changement de perspective appelle quelques remarques et questions critiques. Certes, l’exposé de Gottfried Locher a l’insigne avantage de faire une évaluation claire et sans ambages des obstacles auxquels le dialogue œcuménique avec l’Eglise catholique-romaine est actuellement confronté. Mais est-il pour autant légitime de vouloir contourner ces difficultés en se déplaçant sur un terrain plus facile ? Ne faudrait-il pas beaucoup plus en déduire qu’il faut persévérer de manière opiniâtre, avec le courage du „malgré tout“?

N’oublie-t-on pas trop vite qu’avec un tel changement de cap, on risque d’abandonner à eux-mêmes toutes celles et tous ceux – et ils ne sont pas rares ! – qui luttent pour plus d’ouverture dans l’Eglise catholique, et qui comptent à cet égard sur le soutien des Eglises réformée?

N’oublie-t-on pas trop vite qu’avec un tel changement de cap, on risque d’abandonner à eux-mêmes toutes celles et tous ceux – et ils ne sont pas rares ! – qui luttent pour plus d’ouverture dans l’Eglise catholique, et qui comptent à cet égard sur le soutien des Eglises réformée?

Du point de vue de leurs relations à l’espace public, l’Eglise catholique-romaine et les Eglises réformées sont confrontées, sur de nombreux points, aux mêmes défis. Elles sont appelées à s’atteler ensemble à ces tâches. Dès lors, la Fédération des Eglises protestantes ne prend-elle pas trop distance à l’égard de ces tâches communes en se concentrant surtout sur un œcuménisme à l’interne, avec les Eglises libres et les groupements évangéliques, qui ont une tout autre tradition des rapports à l’espace public?

Certes, le dialogue à l’intérieur de la « famille » protestante n’est pas sans importance, et le protestantisme a assurément besoin d’un profil plus clair, d’une unité plus forte. Mais l’appel à un œcuménisme évangélique ressemble trop à un retrait, à un repli sur soi-même. N’a-t-on pas oublié que c’est précisément la rencontre avec l’autre qui permet d’aiguiser la perception de soi-même ? L’identité croît en se frottant à l’altérité des autres.

Ce repli sur l’œcuménisme évangélique inquiète quelque peu dans un temps marqué par l’apparition de nouveaux défis œcuméniques, en particulier avec les Eglises issues de la migration, qui nous apportent des formes toutes nouvelles du christianisme, mais aussi avec la croissance rapide des Eglises orientales et des Eglises orthodoxes d’Orient parmi nous. Il n’est pas à exclure que de là résulteront des impulsions nouvelles pour le dialogue quelque peu embourbé des Eglises réformées avec l’Eglise catholique-romaine.