Ce que les musulmans attendent du nouveau pape
L'une des décisions les plus attendues du prochain pape sera celle du choix du conseiller en matière de dialogue interreligieux. L'archevêque Fitzgerald a été remplacé par le cardinal français Paul Poupard, qui a occupé le poste jusqu'en 2007, date à laquelle il a été à son tour remplacé par l'actuel président du Conseil pontifical, le cardinal Jean-Louis Tauran. En juillet dernier, Benoît XVI avait placé un autre expert de l'islam, le père Miguel Ayuso Guixot, au poste de numéro deux du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux.
«C'est une personne pleine de ressources», affirme le père Ryan. «Il faudra suivre ce nom à l'avenir. Il aura beaucoup d'influence.»
Car les relations entre les deux groupes ont bien trop souvent été émaillées de conflits: la plaie des croisades chrétiennes du début du dernier millénaire ne s'est jamais vraiment refermée pour de nombreux musulmans et, plus récemment, les attaques perpétrées par des extrémistes islamistes contre des communautés chrétiennes d'Afrique et du Proche-Orient sont une profonde source de préoccupations pour le Vatican.
«Ce que le pape dit ou ne dit pas peut avoir d'énormes répercussions sur nos relations», explique l'imam Feisal Abdul Rauf, fondateur de la Cordoba Initiative, une organisation qui se consacre à améliorer les relations entre les musulmans et l'Occident, et initiateur du projet controversé de centre islamique près du site du World Trade Center à New York.
Tournant dans les relationsL'élection du 266e pape et le choix de François Ier intervient à un tournant dans les relations islamo-catholiques, marquées par les persécutions de chrétiens dans le monde musulman, la recrudescence de l'islamophobie dans les pays occidentaux, les interventions militaires occidentales en Afghanistan, au Pakistan et en Irak et des affrontements entre musulmans et chrétiens dans plusieurs pays d'Afrique.
Si de nombreux musulmans affirment avoir remarqué une amélioration des relations islamo-catholiques pendant le pontificat de Jean-Paul II, ils jugent celui de Benoît XVI plus problématique.
Pour les musulmans, l'inquiétude a atteint son paroxysme en 2006 lors d'un discours de Benoît XVI à l'Université de Ratisbonne, en Allemagne. Ses propos avaient déclenché une série d'émeutes meurtrières dans plusieurs pays musulmans.
Les musulmans étaient en outre préoccupés par l'opposition du Vatican à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne et par le limogeage, à la tête du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, en 2006, de l'archevêque britannique Michael L. Fitzgerald, un expert de l'islam qui était considéré comme bienveillant à l'égard des musulmans.
À la suite de cela, Benoît XVI avait effectué plusieurs déplacements dans des pays musulmans, y compris en Turquie, ce qui avait permis de réparer en partie les dégâts, et nombreux sont les musulmans qui se félicitent des efforts faits par Benoît XVI pour renouer le dialogue avec l'islam.
«Le pape Benoît XVI a consenti des efforts non négligeables pour se réconcilier avec les musulmans après son discours de Ratisbonne», a écrit sur Twitter Ingrid Mattson, professeure titulaire de la chaire d'études islamiques au Huron University College de London (Ontario, Canada) et ancienne présidente de la Société islamique d'Amérique du Nord.
Ebrahim Moosa, professeur d'études islamiques à l'Université Duke, à Durham (Caroline du Nord, États-Unis), affirme que le fiasco de Ratisbonne avait exposé la nécessité de renforcer les liens. «Le Vatican s'efforce d'entretenir de bonnes relations avec le monde musulman et il n'y a pas de raison de croire que cela va changer avec le nouveau pape», indique-t-il.
Bien que de nombreux musulmans reconnaissent les efforts faits par Benoît XVI sur le plan interreligieux, beaucoup d'entre eux espèrent que son successeur sera davantage comme Jean-Paul II.
Attaque contre les communautés chrétiennesBien que beaucoup de responsables catholiques reconnaissent les faux pas de Benoît XVI et soient conscients de la nécessité d'un dialogue renforcé, ils sont aussi nombreux à dire que les musulmans pourraient s'impliquer davantage face aux persécutions des chrétiens dans les pays musulmans.
En 2011, quand Benoît XVI avait condamné les attaques perpétrées par des musulmans à l'encontre de communautés chrétiennes en Égypte, en Irak et au Nigeria, des dignitaires de la célèbre Université Al-Azhar du Caire avaient ajourné le dialogue avec le Vatican, invoquant les «insultes» du souverain pontife.
«Le nouveau pape ne voudra pas simplement parler d'amour et de paix. Il voudra aussi aborder des sujets difficiles», souligne le père Patrick J. Ryan, prêtre jésuite et professeur de religion et société à l'Université Fordham de New York.
L'imam Rauf convient que les musulmans doivent en faire davantage face aux persécutions de chrétiens dans les pays musulmans. «Nous ne devons pas ménager nos efforts pour lutter contre l'activisme observé dans certains pays musulmans partout dans le monde, qui cible des concitoyens chrétiens», affirme-t-il. (JMP - 10)