A quoi sert-il d’enseigner les religions à l’école?
On a longtemps présupposé, en Europe, que la religion était marginalisée voire bannie de la vie publique du fait d’une sécularisation croissante. C’est le contraire qui est vrai.
Dans les sociétés européennes en mutation, l’importance des religions ne cesse d’augmenter. On le voit aussi bien à travers les dialogues entre gens de conceptions religieuses différentes qu’à travers des conflits et des tensions d’ordre social.
Ces dix dernières années, tous les pays d’Europe ont connu le développement croissant d’une pluralité de langues, d’origines ethniques et religieuses au sein de leur population. Ces changements appellent de nouvelles réponses afin que la diversité soit un atout pour la cohabitation humaine et non un motif de ma lentendus, d’exclusion et d’hostilité.
L’école est naturellement au centre de cette problématique. Cela d’autant plus qu’il existe une corrélation entre l’enseignement des religions et l’attitude politique. Au plan de la recherche, c’est évident: moins on l’enseigne, plus il est probable que les différences religieuses soient exploitées à des fins de mobilisation politique.
La coexistence pacifique entre individus de différentes cultures et origines religieuses suppose au moins deux conditions: d’abord une connaissance de cette diversité et, sur cette base, une reconnaissance des uns par les autres. Voilà un devoir d’une société civile, qui doit être ancré dans l’éducation.
Pour cette raison, l’enseignement relatif aux religions est plus que jamais important en Europe. Comme d’autres pays, la France a pris l’initiative de développer un enseignement des faits religieux dans l’école laïque. Le choix du canton de Genève, dans lequel l’enseignement de grands textes prend en compte la diversité religieuse et culturelle de ses élèves, est aussi une bonne façon de traiter des questions de religions à l’école laïque. C’est un bon exemple de laïcité d’intelligence qui ne se veut plus ignorante des faits religieux.
Aborder le fait religieux au niveau européenCes dernières années, la formation en matière de religions a retenu une attention croissante au niveau européen. Les résultats du grand projet européen REDCo (Religion in Education. A contribution to Dialogue or a factor of Conflict in transforming societies of European Countries) que j’ai eu le privilège de coordonner nous aident, de manière significative, à comprendre comment aborder, à l’école, des questions élémentaires de religion et de religiosité dans le but de renforcer le respect des différences et des valeurs communes chez les enfants et les jeunes.
Notre objectif était de mieux savoir ce que les élèves connaissent des faits religieux, s’ils estiment que le fait d’en parler est plutôt susceptible d’améliorer le dialogue ou, au contraire, de favoriser les conflits. Nous voulions recueillir leurs idées sur la façon de traiter des thèmes religieux à l’école. Que nous ayons obtenu des réponses différentes n’est guère étonnant, puisque notre recherche s’effectuait aussi bien en Estonie et en Russie qu’en France ou en Espagne.
Mais ce que les résultats ont en commun malgré les préjugés, c’est, de manière générale, la grande conscience des différences culturelles et religieuses qu’ont les jeunes. Ceci est encourageant parce que cela indique que les jeunes Européens sont capables de suivre le chemin du dialogue plutôt que celui de l’enfermement et du repli sur soi. S’ils estiment que les religions peuvent être source de conflits, ils sont d’avis qu’il serait tout à fait possible de vivre en paix avec des hommes et femmes de différentes religions en Europe.
Sortir de l'enfermement ou de l'ignoranceAfin qu’une telle possibilité puisse être saisie, l’école doit offrir un espace pour mieux connaître le rôle des religions. Sans entrer dans les détails, je peux dire que – les résultats de notre recherche le démontrent – les élèves européens sont intéressés par les faits religieux, à condition que l’école offre une possibilité d’apprendre et d’en discuter. Cela concerne aussi bien des élèves sans attaches religieuses, pour qui l’école est le seul endroit où ils peuvent apprendre quelque chose sur le sujet, que les élèves attachés à telle ou telle religion, pour qui l’école constitue souvent le seul endroit où ils peuvent comparer entre eux différents faits religieux.
Ce n’est pas un sauf-conduit pour (ré)introduire des organisations religieuses dans les écoles. Bien au contraire. Cela ne peut fonctionner qu’à la condition d’une séparation de l’Etat et des religions.
«Parler de religions à l’école, à quoi ça sert?» A mieux appréhender la diversité culturelle et religieuse qui existe dans nos sociétés, à mieux connaître l’origine de nos traditions tout en s’intéressant à d’autres modes de pensée, à favoriser l’apprentissage du dialogue et du respect entre individus, dans l’école comme dans la société. Cela sert clairement à renforcer la cohésion sociale au sein d’une population européenne de plus en plus diversifiée.
Il ne s’agit pas d’imposer un système unique d’enseignement relatif aux religions en Europe. Mais il est important que, quelles que soient les voies suivies par les systèmes éducatifs des différents pays, les élèves et les jeunes acquièrent une connaissance et une reconnaissance des différences. L’approche du canton de Genève a ouvert une voie tout à fait remarquable sur la façon d’atteindre cet objectif dans une école publique laïque au sein d’une démocratie en plein cœur de l’Europe.
- *Une conférence-débat "Parler des faits religieux à l'école: pour quoi faire?" est organisée samedi 20 avril à l'Uni Dufour, Auditoire Piaget, de 9h à 14h. Wolfram Weisse, professeur à l’Université de Hambourg et correspondant de l’Institut européen en sciences des religions (IESR), Mireille Estivalèzes, professeure à l’Université de Montréal et chercheuse au centre d’études ethniques des universités montréalaises, Philippe Borgeaud, professeur honoraire de l’Université de Genève et expert en histoire des religions, Isabelle Vuillemin, Isabelle Nicolazzi, Chantal Andenmatten, directrices des services de l’enseignement – Département de l'Instruction publique (DIP), Camille Gonzales, historienne des religions - Centre d'information sur les croyances à Genève (CIC), Laurent Vité, représentant de la Fédération des enseignantes et enseignants genevois (FEG) et Roland Benz, pasteur, ancien professeur de physique, représentant du groupe citoyen «culture religieuse et humaniste à l’école laïque» participent au débat animé par la journaliste Sylvie Arsever.