Le vent froid de l’Idaho

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Le vent froid de l’Idaho

14 août 2013
Une page difficile et encore trop peu discutée de l’histoire des États-Unis est celle des camps d’internement pour la population japonaise américaine durant la Deuxième Guerre Mondiale.

Par Muriel Schmid, Seattle

En 1942, juste après les attaques de Pearl Harbour, le gouvernement américain entame un programme qui déplacera plus de 100'000 citoyens américains d’origine japonaise.

Des familles entières sont rassemblées, évacuées et envoyées dans divers camps construits à cet effet. Les détenus ne seront libérés qu’à la fin de la guerre ayant tout perdu de leurs biens et patrimoine. Cet épisode a laissé une blessure profonde dans la communauté japonaise américaine.

Et il aura fallu attendre 1988 pour que le gouvernement s’excuse officiellement et reconnaisse que l’internement et la détention de cette population étaient entièrement basés sur des préjugés raciaux. Une compensation de 1,6 milliard de dollars est alors versée aux survivants et à leurs descendants.

Afin de commémorer cet épisode, les organisateurs de la conférence* ont invité à la tribune Larry Matsuda, un habitant de Seattle né en 1945 dans le camp de Minidoka dans l’État de l’Idaho.

Il évoque son expérience de survivant, du drame que cet internement représenta pour ses parents, en particulier sa mère qui souffrira de dépression le restant de sa vie, des blessures ressenties par sa communauté et du nombre de suicides dont il a été témoin. Et il partage avec nous la force des mots, ceux qu’il a trouvés pour dire ce passé; il compose des poèmes et nous lit un extrait tiré de l’un de ses recueils, A cold Wind From Idaho:

I do not remember the cold Idaho winter winds,

the knee deep mud that oppressed 10,000 souls or

the harsh summer heat and dust.

[…] […]

Sixty years later on drizzly Seattle days,

when the November sky is overcast,

the darkness begins at 4:00 PM,

I feel my mother’s sadness like a cold wind

from Idaho.

Sometimes I wish I could remember Minidoka.

I would trade those memories

for the sadness and fear I carry in my genes.

Je ne me souviens pas des vents hivernaux et froids de l’Idaho

la boue jusqu’aux genoux pesant sur 10'000 âmes ou

l’été aride et la poussière.

[…] […]

Soixante ans plus tard, lors d’un jour pluvieux à Seattle,

sous un ciel gris de novembre, et

l’obscurité qui tombe à 16h déjà,

je ressens alors la tristesse de ma mère comme un vent froid

venu de l’Idaho.

Parfois, j’aimerais pouvoir me souvenir de Minidoka.

J’échangerais alors ces souvenirs

contre la tristesse et la peur que je porte dans mes gènes.

Larry Matsuda, Novembre 2004

À la fin de son poème, tout le monde demeure silencieux.

*Muriel Schmid a rédigé cette chronique après une conférence sur le racisme, qui s'est tenue en avril à Seattle.

Liens :

*Site de la conférence White Privilege : http://www.whiteprivilegeconference.com/index.html

*Concepts fondamentaux du principe White Privilege par Peggy McIntosh (en anglais): http://www.amptoons.com/blog/files/mcintosh.html

*Très bonne explication (en français) du privilège blanc par Rokhaya Diallo: http://www.reperes-antiracistes.org/article-le-privilege-blanc-rokhaya-diallo-116465293.html

*Autre article en français dans les Cahiers du CEDREF par Horia Kebabza: http://cedref.revues.org/428

*Larry Matsuda: http://depts.washington.edu/civilr/matsuda.htm