A Madagascar, les Eglises tentent de transformer la société pour sortir de la crise

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A Madagascar, les Eglises tentent de transformer la société pour sortir de la crise

Julie Paik
19 décembre 2013
Madagascar se prépare à vivre, ce 20 décembre, le second tour des élections présidentielles. Ce sont les premières à être organisées depuis le coup d’Etat de 2009 qui a plongé le pays dans une grave crise politique et économique. Les Eglises de Madagascar sont engagées dans un rôle de médiation pour tenter de trouver une issue à la crise. Rencontre avec le président de l’Eglise réformée malgache (FJKM), le pasteur Lala Rasendrahasina.

Vous êtes président de l’Eglise réformée de Madagascar. A quoi ressemble cette Eglise aujourd’hui ?

La FJKM, Eglise de Jésus-Christ à Madagascar, a 45 ans d’existence sous sa forme actuelle; mais elle a une longue histoire qui commence avec la venue des premiers missionnaires britanniques en 1818. Ces missionnaires ont d’abord fondé des écoles, et c’est pourquoi il existe toujours plus de 500 écoles et lycées gérés par la FJKM.

Aujourd’hui, c’est une église unie qui rassemble les fruits des missions britanniques, françaises et quakers. Depuis 1968, date de cette union, la direction de l’Eglise est assumée par des Malgaches.

La FJKM compte environ 4 millions de membres, ce qui représente un cinquième de la population. Il s’agit de la deuxième Eglise la plus importante du pays après l’Eglise catholique romaine. Elle a environ 5000 lieux de culte, dont certains sont des églises de maison, et manque de pasteurs puisqu’elle compte entre 1300 et 1500 ministres.

Madagascar est aujourd’hui plongé dans une crise profonde après le coup d’Etat de 2009 qui a renversé le président Marc Ravalomanana. Dans cette situation, quel est le rôle des Eglises ?

Les Eglises travaillent ensemble au sein du Conseil des Eglises chrétiennes à Madagascar (FFKM) pour que la justice soit rétablie dans notre pays où l’injustice règne, et pour qu’il y ait la paix, condition nécessaire au développement de tout peuple, de tout individu.

Le FFKM a plus de 30 ans d’existence. Il réunit quatre grandes Eglises-membres: l’Eglise catholique romaine, l’Eglise anglicane, l’Eglise luthérienne, et la FJKM. Depuis le début de la crise, en 2009, ces Eglises travaillent main dans la main pour trouver une solution au travers de la réconciliation des politiciens.

Elles œuvrent aussi à la base, dans les paroisses, par l’éducation, les sermons, les divers moyens dont elles disposent pour sensibiliser les chrétiens à l’intégrité dans la vie de la société. C’est ce dont souffre actuellement Madagascar: les politiciens se disent chrétiens, mais ils manquent d’intégrité.

L’appartenance religieuse des politiques est-elle importante pour la société malgache?

A Madagascar, la religion et la vie en société, la vie de tous les jours, sont inséparables. L’influence des politiques en tant que chrétiens est très importante; c’est une longue histoire qui remonte à l’époque de la monarchie, où nous avons eu une reine protestante.

Les Eglises conservent une grande influence dans la société qui est très différente du poids des Eglises en Occident. Nos Eglises sont pleines tous les dimanches. Et pourtant, voyez dans quel état est Madagascar! Beaucoup de responsables ne sont chrétiens que de nom. C’est pour cela qu’il est si important que les Eglises travaillent à l’éducation des chrétiens selon les valeurs évangéliques.

Une élection présidentielle est actuellement organisée. Le premier tour, le 25 octobre 2013, a vu émerger deux candidats qui seront départagés par un second tour le 20 décembre. Qu’en attendez-vous?

Je suis un peu négatif sur le futur de cette élection. Nous, les Eglises, pensons qu’il faut commencer par la réconciliation avant d’organiser des élections. Mais les politiques en ont décidé autrement. Ils préfèrent essayer de résoudre la situation par les élections. Pour nous, au Conseil des Eglises chrétiennes à Madagascar, les élections ne peuvent pas être une fin en soi. C’est pour cela que nous continuons à œuvrer pour la réconciliation; tant qu’elle n’est pas achevée, on ne peut pas savoir ce qui se passera après les élections.

Concrètement, que font les Eglises pour faire avancer la réconciliation?

Nous avons commencé le processus en réunissant les anciens chefs d’Etat et l’actuel président de transition à Madagascar. Mais cela n’a pas complètement marché, puisque Marc Ravalomanana (le président écarté par le coup d’Etat de 2009, NDLR) n’a pas pu venir.

Nous avons essayé de trouver une autre solution. Nous avons demandé aux anciens chefs d’Etat et au président de transition de nommer des délégués qui puissent se réunir pour trouver ensemble des solutions à la crise. Ensuite, nous avons programmé une grande réunion entre partis politiques, mais cela n’a pas encore abouti.

Avez-vous reçu de l’aide de la part d’Eglises partenaires?

Le Conseil œcuménique des Eglises a déjà envoyé des émissaires pour nous aider et nous encourager. J’aimerais qu’il continue à nous soutenir, pas seulement par la prière mais aussi par des actes, et qu’il renouvelle cet envoi de délégations, surtout en cette période d’élections.

Je souhaite aussi que nos Eglises partenaires puissent nous soutenir dans notre action pour la réconciliation. Je pense à la Conférence des Eglises d’Afrique, à la Communauté d’Eglises en mission (Cevaa), à la Fédération protestante de France, à la Fédération des Eglises protestantes de Suisse... Si tous ces partenaires se concertaient pour nous soutenir, ce serait une aide bienvenue pour le travail du Conseil chrétien de Madagascar.

L’ancien président, Marc Ravalomanana, est également vice-président de votre Eglise, la FJKM. Le coup d’Etat a-t-il eu des conséquences pour l’Eglise?

Oui, la FJKM a souffert, surtout matériellement et physiquement. Des pasteurs ont été brutalisés, la radio a été fermée par le pouvoir de transition actuel, mais tout cela est vite passé. Même si notre radio est encore fermée, nous essayons toujours de proclamer l’Evangile par nos propres moyens. Plus nous avons été persécutés, plus la force de la FJKM est devenue grande.

La FJKM s’est-elle trouvée divisée par le conflit politique?

Certains le disent, mais c’est un regard de l’extérieur. La FJKM connaît des conflits, comme dans toute Eglise, entre quelques membres; mais même du temps de l’apôtre Paul, l’Eglise vivait déjà ce genre de situation. Il y a toujours des divisions, mais elles ne mènent pas l’Eglise à être coupée en deux; elles nous poussent à toujours avancer dans l’unité.

Il y a des divergences de vues, mais pas de conflit ouvert. Les querelles entre partisans de l’un et de l’autre président n’ont pas lieu dans l’Eglise, mais à l’extérieur. Dans nos Eglises, on ne discute pas de l’appartenance politique des uns et des autres.

Le coup d’Etat de 2009 a eu des conséquences dramatiques pour Madagascar, qui est devenu en quatre ans l’un des pays les plus pauvres au monde. Cette situation est-elle uniquement due à la crise politique?

La situation de crise de Madagascar vient, pour une grande partie, de la politique. Certains politiciens malgaches ont un intérêt financier à ce que la crise perdure, car ils ont partie liée avec les anciens pays colonisateurs qui s’intéressent aux ressources naturelles du pays.

De plus, la découverte de gisements miniers, du pétrole dans le détroit du Mozambique, l’exploitation des bois précieux, sont des enjeux économiques énormes qui rendent très complexe la crise à Madagascar. La corruption est également devenue endémique. Les Eglises ont bien conscience du problème. Elles essaient d’agir de manière préventive au travers de l’éducation, mais c’est un travail de longue haleine.

Pour vous, sur quoi repose l’espoir d’une sortie de la crise?

Je vais vous répondre en tant que pasteur: c’est sur l’action des Eglises et la prière! Et je crois que c’est vrai. La transformation des chrétiens est l’espoir du pays.

Vidéo

Lala Rasendrahasina from Joël Burri on Vimeo.