Le pasteur Innocent Himbaza appelé à coordonner les traductions de la Bible au niveau mondial

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Le pasteur Innocent Himbaza appelé à coordonner les traductions de la Bible au niveau mondial

31 janvier 2014
Ministre à Estavayer-le-Lac, privat-docent à l’Université de Fribourg et curateur de l’Institut Dominique Barthélemy, Innocent Himbaza a été nommé au comité pour la pratique de traduction de l’Alliance biblique universelle. A 48 ans, ce spécialiste de l’histoire de la réception des textes de l’Ancien Testament rejoint un collège de huit experts qui coordonnent et prennent position sur les enjeux théologiques qui se cachent derrière les traductions de la Bible.

par Joël Burri

Innocent Himbaza, vous avez été nommé à l’Alliance biblique universelle. Qu’est-ce que cette institution?

C’est l’assemblée des sociétés bibliques nationales. L’Alliance permet de coordonner certaines de leurs activités. Elle veille à un traitement équitable des besoins en matière de traduction. Typiquement, nous allons demander aux Suisses, qui disposent de plusieurs éditions de la Bible de financer la traduction de la Bible au Bangladesh et au Mozambique. Ensuite, on va, par exemple, décider de favoriser la traduction du Bangladesh qui touchera 500 000 personnes par rapport à celle du Mozambique qui concerne un groupe humain plus petit.

Mais alors, c’est un travail d’économiste pas de bibliste.

Nous regardons aussi que la formation des responsables des équipes de traduction soit suffisante. Et nous défendons certains standards de travail et principes de traductions. Par exemple, en Afrique l’idée que le texte biblique doit se lire par lui-même est très répandue donc ils ne mettent jamais de note de bas de page dans leurs traductions. C’est une habitude qui leur vient de la Société biblique britannique et étrangère qui avait diffusé la Bible dans de nombreux «pays de mission». Mais c’est problématique parfois. Pour donner un exemple, dans certaines régions la vigne est inconnue et ce mot n’existe pas. Il a donc été traduit soit par bananeraie, soit par une explication ajoutée sans autre au texte biblique.

Un autre exemple, au Tchad et en Côte d’Ivoire le mot neige n’existe pas. Il a été traduit par Nézé. Un mot qui reprend la sonorité, mais qui ne veut rien dire dans ces langues. C’est donc compliqué pour le lecteur si l'on ne met pas de note de bas de page explicative.

Y a-t-il parfois des questions théologiques qui se posent aussi?

Oui, dans ce cas, nous proposons alors des réponses, soit par nous-mêmes, soit en faisant appel à des spécialistes. Par exemple, il y a actuellement une traduction de la Bible en hébreu qui se prépare. Or, dans le Nouveau Testament, écrit originellement en grec, il arrive que l’on cite des passages de l’Ancien Testament. Comment faire si elles ne correspondent pas? Par exemple, Actes13:41 cite Habacuc 1:5. L’Ancien Testament dit «Regardez parmi les nations et soyez étonnés…» alors que le Nouveau Testament dit «Regardez, vous les traîtres et soyez étonnés…». Faut-il unifier ou pas? La Société biblique d’Israël a répondu oui. Ils devaient craindre que le texte du Nouveau Testament ne soit décrédibilisé dans une société qui connaît très bien l’Ancien Testament. À mon avis, c’est une erreur. Cela signifie d’une part qu’un chrétien hébraïsant ne lit pas la même chose qu’un chrétien francophone dans les Actes. D’autre part, ici on a contourné le problème plutôt que de le résoudre. Je pense que dans ce cas particulier, l’auteur des Actes s’est basé sur la traduction grecque de l’Ancien Testament dite de la Septante et sur ce point, elle est sans doute plus proche du texte original que le texte hébreu qui a continué à évoluer avant de se stabiliser sous la forme moins violente connue aujourd’hui.

Le travail de l’Alliance biblique universelle demande donc non seulement de comprendre ce qui s’est passé avec le texte au cours de l’histoire, mais aussi de prendre en compte les problèmes de politique de diffusion auxquels sont confrontés les traducteurs aujourd’hui.

Comment se déroule ce travail concrètement?

Nous sommes huit personnes issues de différents continents. Nous essayons de nous rencontrer physiquement au moins une fois par année. Je suis allé à New York en septembre pour la première fois. Fin mars, nous irons à Antalya en Turquie. Entre-temps, nous travaillons sur la base des rapports envoyés par les spécialistes que nous mandatons. Nous recevons aussi régulièrement des questions de la part de groupes de traducteurs.

L’Alliance biblique universelle fait-elle autorité seulement parmi les protestants?

Historiquement, c’était un organe protestant, mais très vite elle a revendiqué son caractère œcuménique et de fait, elle l’est. Je n’y suis pas parce que je suis protestant, j’y suis parce que je suis spécialiste de l’étude de la Bible.
La faculté de Fribourg, qui est catholique, a des liens très forts avec la Société biblique suisse. Probablement grâce aux professeurs Dominique Barthélemy et Adrian Schenker qui ont fait de l’étude de l’histoire du texte biblique un pôle d’excellence de l’Université de Fribourg.

Démission du Conseil synodal

Innocent Himbaza siège au Conseil synodal (organe exécutif) de l’Eglise évangélique réformée du canton de Fribourg depuis huit ans. Il est actuellement responsable du dicastère «mission et œuvres d’entraide».
En juin, il quittera cette fonction. «Je suis quelqu’un d’organisé. Quand je suis à l’Université, je suis à l’Université, quand je suis dans mon rôle de pasteur, je suis pasteur. Mais l’Alliance biblique en plus, cela fait beaucoup. Je ne veux pas trop me disperser, j’ai donc choisi de quitter le Conseil synodal.»
Formé au Rwanda, à Fribourg et à l’Université hébraïque de Jérusalem, Innocent Himbaza est pasteur à Estavayer-le-Lac depuis une quinzaine d’années et il donne des cours en Ancien Testament à l’Université de Fribourg.
«J’aime la Bible. Je reste étudiant en Bible dans la mesure où on n’a pas fini de la découvrir et d’en être émerveillé», sourit-il quand on lui demande de se présenter.L’Alliance biblique universelle

● 146 sociétés membres actives dans plus de 200 pays et territoires.
● La Société biblique britannique et étrangère est la plus ancienne société biblique. Elle a été fondée en 1804.
● L’alliance a été fondée, en 1946, par 13 pays.
● En 2012, l’alliance travaillait sur la première traduction de la Bible dans 45 langues. Sur 26 révisions de traductions et 29 nouvelles traductions. Son objectif est de terminer ces 100 travaux pour fin 2015.
● En 2012, elle a perçu 16,7 millions de dollars de dons, ventes de services, cotisations de ses membres (15,4 millions de francs suisses).Cet article a été publié dans:

Le quotidien fribourgeois La Liberté, dans son édition du 1er février 2014.
Le quotidien vaudois 24 heures en a fait une brève dans son édition du 1er février 2014.