La crise ukrainienne pourrait conduire à une scission de l’Eglise orthodoxe russe

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La crise ukrainienne pourrait conduire à une scission de l’Eglise orthodoxe russe

1 avril 2014
Peu avant le référendum sur l’indépendance de la Crimée, le patriarche Kirill de l’Eglise orthodoxe russe a appelé à la prière: «que des frères de foi et de sang n’en viennent pas à se détruire entre eux.» Les tensions entre la Russie et l’Ukraine risquent, en effet, de conduire à une scission au sein de L’Eglise orthodoxe du Patriarcat de Moscou, amenant à la création d’une Eglise ukrainienne.

Photo: Le patriarche Kirill ©Patriarcat de Moscou

Moscou (RNS / Protestinter) La Russie est fière de la renaissance du christianisme orthodoxe après des décennies de persécution soviétique. Mais une guerre avec l’Ukraine pourrait faire voler en éclat l’Eglise orthodoxe russe.

Les racines de cette Eglise sont à Kiev, où, en 988, le prince Vladimir avait baptisé son peuple comme chrétien. Un événement considéré comme central dans la construction de l’identité russe et ukrainienne. Une tradition plus forte encore en Crimée, où, selon la légende, Vladimir avait lui-même été baptisé par des émissaires byzantins.

Le Patriarcat de Moscou est la principale Eglise d’Ukraine

L’Eglise orthodoxe du Patriarcat de Moscou, qui compte 12’500 congrégations, est la plus importante des Eglises orthodoxes d’Ukraine. Bien qu’elle ait un certain degré d’autonomie, avec un synode d’évêques qui élit ses propres membres, le chef de l’Eglise, le métropolite de Tchernovitsy et de Bucovine doit être approuvé par Moscou. Ce sera notamment le cas de Onuphre, locum tenens de la cathèdre métropolitaine de Kiev. Le métropolite Vladimir ayant de graves ennuis de santé.

A la fin du service à la cathédrale du Christ Sauveur de Moscou, le vendredi 14 mars, le patriarche Kirill, pourtant connu pour son soutien au président russe Vladimir Poutine, a suggéré dans son sermon que l’Ukraine a droit à l’autodétermination. Mais il a aussi souligné qu’il ne faudra pas se laisser piéger par une division spirituelle de la Russie. «Nous faisons là référence au Monde russe, la grande civilisation russe qui depuis les fonts baptismaux de Kiev s’est étendue au travers de l’immensité de l’Eurasie», peut-on lire sur une transcription publiée sur le site internet du Patriarcat de Moscou.

La mythologie de la grande Russie

Le «Monde russe», «Russky mir» est un thème dominant pour Kirill depuis qu’il est devenu patriarche en 2009, et qu’il est confronté à la vision du monde de Vladimir Poutine, explique Antoine Arjakovsky, directeur de recherche au Collège des Bernardins et directeur émérite de l’Institut d’études œcuméniques de Lviv. «Pour eux, la démocratie est un danger», a-t-il déclaré dans une interview accordée à Religion News Service. «Ils ont inventé une nouvelle mythologie, une nouvelle idéologie du «Russky mir», de l’idée russe qui conduit à une sorte de théologie politique.»

Au sein des Eglises d’Ukraine, les manifestations qui ont renversé le président Viktor Ianoukovitch ont également galvanisé un réveil religieux et peuvent conduire à un changement radical dans les relations Eglise-Etat. Les images spectaculaires de membres du clergé avec des croix debout entre les manifestants et les forces gouvernementales ont fait le tour du monde alors que le bras de fer s’intensifiait en janvier et février.

Les Eglises s’alignent sur le Pouvoir

«La majorité des églises ukrainiennes suivent un courant de pensée commun dans le christianisme oriental; elles s’alignent sur les positions de l’Etat», prévient toutefois le révérend Cyril Hovorun, ancien directeur des relations ecclésiastiques extérieures de l’Eglise orthodoxe ukrainienne et qui a également travaillé au siège de Patriarcat de Moscou. Il mène actuellement une étude sur les relations Eglise-Etat à la Divinity School de l’Université Yale. «Dans leur majorité et à différents niveaux, les Eglises ont apporté leur soutien aux demandes légitime du Maidan», la place de Kiev où les manifestations ont eu lieu.

Les grécocatholiques et les catholiques de rite oriental –qui sont fidèles à Rome– sont les partisans les plus anciens et les plus actifs de la manifestation, explique le révérend Cyril Hovorun. «Beaucoup d’entre eux viennent de l’ouest de l’Ukraine, à la frontière polonaise, où la politique de persécution de la religion de l’Etat communiste du dictateur Joseph Staline, était accompagnée par la conversion forcée du catholicisme de rite oriental vers l’orthodoxie. Dans ces régions, l’athéisme n’a jamais pris.»

Pourtant, pendant les manifestations, toutes les églises «plus ou moins rapidement se sont alignées sur le nouvel agenda», constate Cyril Hovorun. La prière est devenue partie intégrante des manifestations, transformant celles-ci en lieux de rencontre œcuménique. «Maidan, en plus d’être un événement civil important, semble désormais être un événement religieux important», dit-il . «Il y avait des prières dites chaque jour, le matin et le soir. C’était un phénomène religieux en plus d’être un phénomène politique et social. Cela a également été un phénomène œcuménique parce que Maidan a réellement facilité la rencontre de dirigeants de nombreuses Eglises qui n’avaient jamais vraiment conversé publiquement les uns avec les autres.»

Plus tôt ce mois, Andrei Zoubov, historien au prestigieux Institut d’Etat des relations internationales de Moscou et expert dans les relations Eglise-Etat, a frisé le licenciement pour avoir écrit un éditorial dans lequel il a comparé les actions de Poutine en Crimée avec l’Anschluss dans les Sudètes par Hitler. Il a écrit que si les événements tournent à la guerre, une scission entre les églises de Moscou et de Kiev serait inévitable. Dans un entretien téléphonique, il explique: «Poutine a entamé un processus incontrôlable»

Vers une Eglise ukrainienne indépendante?

Les appels ont été nombreux en faveur d’une Eglise indépendante qui unirait toutes les Églises orthodoxes de l’Ukraine. (Les deux autres ne sont pas reconnues par les principales Églises orthodoxes du monde.)

Andrei Zoubov estime que si les relations entre la Russie et l’Ukraine continuent de se détériorer, le Patriarcat de Constantinople finirait par reconnaître une Église ukrainienne. «L’Ukraine est le deuxième pays orthodoxe après la Russie», rappelle Antoine Arjakovsky. Une chose est certaine: une église ukrainienne unie pourrait redessiner la carte de l’orthodoxie.