Jean Martin présente son livre
L’ancien médecin cantonal vaudois Jean Martin se livre à l’exercice de la FAQ, «frequently asked questions» ou «foire aux questions». Il a choisi et a répondu à quelques questions qu’on lui a posé depuis la sortie, le mois passé aux Editions médicales suisses, de «Prendre soin – Un médecin engagé dans le monde».
D’où vient l’idée de rassembler une sélection de vos écrits sous forme de livre?
Je suis surpris de voir combien de personnes me disent, par lettre, courriel ou d’autres manières, m’avoir lu avec intérêt – et j’ai l’impression que ce n’est pas uniquement par courtoisie. Il m’a paru qu’il se justifiait de mettre ensemble un choix de ces appréciations, prises de position, témoignages de l’acteur et observateur impliqué que je suis. Mais il y a aussi, probablement, un souhait quelque peu narcissique de «laisser quelque chose derrière moi».
Comment avez-vous choisi les textes de cette sélection?
J’ai choisi les chroniques qui ont un caractère «durable», pour employer un mot à la mode, pas indûment anecdotiques ou datées. Basés sur l’expérience (la seule chose qui ne s’apprend pas dans les livres!) de ce que j’ai fait et vécu, et les préoccupations qui sont les miennes aujourd’hui. Un autre critère était que chaque contribution trouve sa place dans un des huit chapitres qui structurent le livre, dans un déroulement logique.
L’éventail de vos préoccupations est large: à côté de la santé publique, votre domaine professionnel, figure entre autres l’éthique. Vous êtes un touche-à-tout?
Il est difficile de le savoir précisément quand on a 15 ou 20 ans, mais la vie m’a montré que j’étais une personne de la vue large et de la synthèse plus que de l’analyse très détaillée. Ma démarche veut évaluer une situation dans son ensemble, avec son contexte (médico-sanitaire, socio-économique, politique et culturel – la vocation de la santé publique, en fait). Un effort de mettre en relation, à propos d’une situation ou d’un problème, les données des différents registres pertinents – et bien sûr les personnes et organismes concernés. Je suis de ceux qui savent «un peu sur tout» plutôt que «tout sur un domaine limité». Cela étant, dans notre métier et dans les autres, il faut bien entendu des gens avec des compétences –et des envies– diverses. Comme, puisque nous vivons la Coupe du monde de football au Brésil, il faut absolument des joueurs aux talents et dynamismes variés, différents, pour qu’une équipe gagne. Mon activité professionnelle était faite de collaborations multiples.
Tant par votre parcours professionnel que politique, vous êtes un bon connaisseur des systèmes de santés suisses et étrangers. Dans quels domaines la Suisse mérite-t-elle de bons ou de mauvais points?
Notre pays a des qualités, c’est sûr. Nous sommes sérieux, tout en nous prenant plutôt moins au sérieux que d’autres, nous travaillons beaucoup (trop?). La plupart d’entre nous sont satisfaits d’un système politique libéral et social à la fois – même si rien n‘y est parfait, chacun peut y participer à la vie communautaire et civique. En général, notre système de santé est très bon. Par contre, dans mon domaine il y a des aspects moins brillants: il est simplement inadmissible d’un point de vue de solidarité continentale et planétaire que nous nous contentions, pour faire fonctionner notre système de santé, d’«importer» des dizaines de milliers de professionnels (médecins, infirmières, etc.), alors que nous sommes un des pays les plus riches. Les rôles joués par plusieurs banques suisses dans le passé récent me scandalise, j’en suis honteux pour ce pays. A divers égards (y compris dans notre attitude vis-à-vis de l’Europe), le vieil adage est souvent vérifié: «Pas d’argent, pas de Suisses». En bref: j’ai mes critiques, mais cela ne m’empêche pas d’avoir une vraie estime, et tendresse, pour ce qu’est ce pays.
Comment ces insuffisances pourraient-elles être résolues?
Disons que la première chose est de reconnaître les inadéquations et les pratiques qui devraient être modifiées (et, pourquoi pas, punies?). Il sera compliqué et cela coûtera cher de former en Suisse un nombre suffisant de professionnels de santé compétents, mais c’est un devoir évident, pratique et moral, de le faire. S’agissant de la globosphère de la finance: je suis attaché à la protection de la vie privée, mais je crois aussi que chacun a des devoirs vis-à-vis de la collectivité (nationale ou internationale). Je dis un non résolu au libertarianisme tel que celui de l’extrême droite américaine. C’est une question majeure d’éthique sociale.
Le dernier chapitre de votre ouvrage est consacré à des relations de voyages. Que signifie pour vous le fait de voyager?
Mon épouse et moi sommes partis pour aider les personnes de la partie amazonienne du Pérou, en 1968, et avons travaillé durant huit ans sur quatre continents. Nous avons découvert qu’il était illusoire de vouloir plaquer nos modèles et «solutions» sur des situations très différentes des nôtres (leçon de modestie). Mais nous avons toujours trouvé passionnant de rencontrer des gens qui ont d’autres cadres de référence, d’autres manières de vivre et de réagir. «La différence, c’est enrichissant!», je le souligne souvent. Ce qui n’empêche pas, au contraire, d’avoir des attaches et de les valoriser. Une de mes maximes favorites est «J’ai des racines, je m’en sers pour avancer». Je suis enraciné dans le coteau de vignoble de ma famille dans la région de Morges.
Dans vos chroniques récentes, la mort et le mourir sont souvent présents. Ce thème vous a-t-il toujours préoccupé?
Comme chacun, je pense à la finitude inéluctable de notre existence, il me semble que je suis assez serein à cet égard (l’immortalité dont rêvent aujourd’hui quelques beaux esprits dans des fantasmes de biomédecine-fiction serait un cauchemar –les enfants ne seraient plus du tout bienvenus!) Pratiquement, comme médecin cantonal, j’ai eu à me préoccuper ex officio des activités d’Exit dès le début des années 1990. De plus, l’assistance au suicide a une spécificité suisse et, dans le cadre notamment de la Commission nationale d’éthique, nous avons traité le sujet. Sur ce thème, j‘estime que c’est un droit de la personne qui doit être respecté de pouvoir, le cas échéant, mettre fin à une existence devenue trop douloureuse et lourde, mais que, en aucune façon, jamais, les pouvoirs publics ne doivent donner l’impression qu’ils cautionnent le suicide.
Pour qui avez-vous écrit?
Clairement, l’idée est que ce livre peut retenir l’attention d’un large public intéressé par les enjeux auxquels est confrontée la société d’aujourd’hui. Cela a aussi, bien sûr, été un des critères du choix qui a été fait de son contenu.