L’art d’accompagner la fin de vie

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L’art d’accompagner la fin de vie

21 juillet 2014
Depuis trois ans, tous les étudiants en médecin de l’Université de Munich sont formés à l’accompagnement spirituel dans le cadre des cours en soins palliatifs. Une expérience pionnière mise sur pied par le Dr Gian Domenico Borasio, désormais chef du Service des soins palliatifs du CHUV, qui pourrait faire école en Suisse. Tour d’horizon.

Par Aline Bachofner, La Vie protestante – Genève

Photo: CC(by-nc-sa) Tschörda

«Mourir»*, c’est le sobre titre de l’ouvrage du Dr Gian Domenico Borasio, paru le 24 avril dernier. Dans ce petit condensé de 160 pages, le neurologue italien aborde tous les points essentiels des soins palliatifs aussi bien bien sur le plan physique, psychique que spirituel. Aujourd’hui, chef du Service des soins palliatifs du CHUV, il a occupé la chaire de médecine palliative de l’Université de Munich de 2006 à 2011. Il y a créé un centre interdisciplinaire pour la médecine palliative en s’associant les compétences de professeurs en assistance sociale et en assistance spirituelle (Spiritual care)… Une petite révolution dans le monde très cloisonné de la médecine académique.

Titulaire du poste de prof. De Spiritual care de l’Université de Munich depuis 2010, le jésuite Eckhard Frick, théologien et psychiatre, se souvient des réticences du monde médical et d’une partie du public à la création de ce poste. «Certains se demandaient si j’allais mener une activité missionnaire. D’autres s’inquiétaient du respect des différentes cultures spirituelles et religieuses.» Ces interrogations continuent de surgir à chaque nouvelle volée d’étudiants qui fréquentent ce cours obligatoire du module de soins palliatifs. «Les étudiants sont parfois gênés par le caractère très intime de tout ce qui touche à la spiritualité, remarque le prof. Frick. C’est plus embarrassant que de parler de sexualité!»

Les étudiants apprennent avant tout à être à l’écoute des patients et à identifier leurs besoins en leur posant des questions simples et larges sur leur spiritualité: le malade a-t-il une spiritualité, une fois, une religion? Quelle place la spiritualité tient-elle dans sa vie? Souhaite-t-il rencontrer une personne en particulier pour en parler? Pour le Prof. Frick, il est important que cette «anamnèse spirituelle» soit réalisée par le corps médical. «Le médecin doit accompagner dans la mesure du possible la quête du malade. Certains patients voudront d’emblée voir l’aumônier, d’autres vivront mal le fait que le médecin se “défausse” sur ce dernier.»

La Suisse suit le mouvement

L’expérience munichoise fait des disciples en Suisse. A Bâle, la Faculté de médecine proposera dès la rentrée 2014 un Master en Spiritual care, et l’Université de Zurich projette également de se doter de cours d’assistance spirituelle en milieu hospitalier, mais dans le cadre de la Faculté de théologie. Une option intéressante pour le prof. Frick dans la mesure où les cours pourront viser aussi bien les étudiants en théologie que les étudiants en médecine. Le risque est toutefois que ces derniers perçoivent cet enseignement comme annexe.

Dans le canton de Vaud, la prise en compte de la dimension spirituelle de l’être humain est une exigence constitutionnelle. Le Centre hospitalier universitaire du canton de Vaud (CHUV) a d’ailleurs confié l’enseignement de l’accompagnement spirituel à une pasteure spécialiste de l’accompagnement de fin de vie. Tous les aspirants médecins suivent les cours de Cosette Odier en 1ere et 4e année. «Nous avons la chance de travailler dans l’interdisciplinarité, souligne la formatrice. Dans une société où la spiritualité est de moins en moins institutionnelle et où les aumôniers sont parfois trop marqués “Eglise” pour les patients, les médecins doivent aujourd’hui savoir identifier les besoins spirituels des malades, y répondre en partie et orienter les demandes plus spécifiques vers les spécialistes.»

Tout autre est la situation à Genève où la formation des médecins à l’accompagnement spirituel n’est pas à l’ordre du jour. La séparation stricte entre l’Etat et les Eglises complique la tâche des aumôniers. «Il y a une grande pudeur vis-à-vis du religieux dans ce canton, témoigne Patrick Baud, aumônier aux HUG, et une certaine méconnaissance mêlée d’une grande prudence de la part des équipes soignantes, qui pensent parfois que nous sommes là pour faire du prosélytisme.» La séparation stricte entre les Eglises et l’Etat complique la tâche des aumôniers, qui doivent compter sur la diligence du personnel soignant lors des admissions pour pouvoir entrer en contact avec les patients. Or, le personnel est surchargé et la spiritualité ne leur paraît pas toujours une priorité.

*Mourir, ce que l’on sait, ce que l’on peut faire, comment s’y préparer, par Gian Domenico Borasio. Ed. Presses polytechniques et universitaires romandes, 2014.


Dr Gian Domenico Borasio: «La méditation augmente la qualité de vie»

Les soins palliatifs sont parfois considérés dans le monde médical comme un échec de la médecine: on y prépare la mort, alors que la médecine doit préserver la vie. Pourquoi avez-vous choisi de vous y intéresser?

Neurologue de formation, je me suis intéressé très tôt à la prise en charge de patients souffrant de sclérose latérale amyotrophique (SLA). C’est une maladie neurodégénérative incurable et fatale avec une survie moyenne de trois à cinq ans, provoquant un décès par insuffisance respiratoire. A l’époque, nous avions beaucoup d’espoir de pouvoir guérir cette maladie grâce à des facteurs de croissance nerveuse récemment découverts. Malheureusement, tous les essais cliniques sur la base de ces facteurs ont échoué à ce jour. En travaillant au contact des patients atteints de SLA, j’ai appris que prendre soin d’eux, alors qu’ils développent une multitude de symptômes difficiles à traiter, peut être une source d’une grande satisfaction professionnelle, même s’il n’est pas possible de les guérir. En effet, le fait qu’un patient meure n’est pas un échec de la médecine puisque ce sera le cas pour nous tous. Par contre, la manière dont un patient meurt peut parfois constituer un grand échec de la médecine.

Dans votre livre, vous présentez la méditation comme une technique permettant de vivre plus sereinement sa maladie. La méditation peut-elle être bénéfique non seulement pour le psychisme, mais également pour la santé physique des malades?

La méditation ne représente qu’une des innombrables formes de pratique spirituelle qui peuvent être utiles aux patients dans une situation palliative. Elles permettent à certains patients de mieux faire face aux défis représentés par la maladie et la mort qui s’approche. De nombreuses études scientifiques démontrent qu’une pratique régulière de la méditation peut augmenter la qualité de vie et diminuer le stress causé par une maladie grave. Cet effet a bien sûr une influence positive sur l’état général des patients.

Que représente la mort pour vous, peut-on réussir sa mort comme on réussit sa vie?

Pour moi, personnellement, la mort est un passage. Je ne sais pas vers quoi, mais je suis convaincu du fait que ce qui se passe au-delà est déterminé en grande partie par la manière dont on vit sa propre vie. Dans cette perspective, réussir sa vie et réussir sa mort sont en effet la même chose. Socrate disait justement: «vivre, c’est apprendre à mourir.»

Propos recueillis par Aline Bachofner