Bonnes ou mauvaises manières médicales?
Photo: CC BY-SA Reytan
Un chirurgien de notre pays a récemment utilisé comme photo de profil sur le service «WhatsApp» une photo de lui en salle d’opération au terme d’une intervention, en blouse tachée de sang et bras en l’air. C’est-à-dire dans une situation à caractère professionnel. L’affaire a fait du bruit et l’hôpital a été interpellé.
Quand j’assumais le mandat de médecin cantonal, j’avais pour tâche, en concertation avec d’autres, d’apprécier des comportements atypiques, voire critiquables, de membres des professions de la santé. Il est intéressant de voir quels sont les aspects à considérer, en rapport avec les droits et les intérêts de plusieurs personnes et instances: le patient d’abord, le médecin en tant que personne, le médecin comme membre d’une profession, l’institution où il travaille et éventuellement l’autorité sanitaire.
Premièrement, il s’agit de s’assurer que la dignité et l’intégrité (psychique notamment) du patient ne sont pas mises en danger. Peu ou pas de problème si rien ne permet de voir ou d’identifier le patient. La situation est différente et potentiellement sérieuse, dans le cas contraire. Par exemple, si des soignants disséminent des photos où, dans leur activité, ils sont avec des personnalités connues sans l’accord des intéressés.
Concernant le médecin en tant que personne, qui se montre dans une position inhabituelle à un cercle large de connaissances, à lui de juger les risques qu’il prend. Noter qu’on est dans une situation différente de celle des carabins qui, en salle de garde, se livraient à des acrobaties grivoises, voire choquantes – c’était à huis clos et à une autre époque. Dans le cas où messages et images sont largement distribués, la réputation du soignant peut en souffrir: c’est son problème (ces dernières années outre-Atlantique, des carrières politiques ont été brisées pour de telles raisons).
De plus, le médecin comme membre d’une corporation, exerçant avec une autorisation officielle, peut avoir à répondre devant son association professionnelle ou devant l’autorité publique de surveillance. S’il s’agit d’écarts d’attitudes ou de comportements aux conséquences négatives mineures, ils peuvent être réglés déontologiquement dans le cadre corporatif (dans ce cas, on peut échapper à la sanction en démissionnant de la société professionnelle!). Dans les cas plus sérieux, des enquêtes peuvent être ouvertes par le Département cantonal de la santé. Reste, le cas échéant, la question des rapports avec l’employeur.
Les «bonnes manières» des médecinsCe sont là les principes. Au reste, dans de telles affaires, on peut aussi dire qu’on est dans le cadre d’une certaine éducation, des «bonnes manières». La plupart d’entre nous souhaitent que les professions libérales entretiennent une image de sérieux, de correction et d’une certaine tenue – même s’il n’est pas interdit de pratiquer dans une tenue vestimentaire peu avenante ou d’utiliser un langage peu châtié. Ce sera alors au patient de tirer ses conclusions, en faisant état de son malaise et en choisissant éventuellement de changer de thérapeute.
S’agissant de «manières»: les temps ont changé et avec eux le statut du médecin. De même que pour les ecclésiastiques et les enseignants, il n’est plus tenu de se conduire comme un très digne notable. On le voit jouer la comédie, être actif dans toutes sortes d’associations et de groupes, s’engager de manière militante en politique. L’éventail des comportements qui ne font plus froncer le sourcil est devenu bien plus large. Les réseaux électroniques offrent une dimension totalement nouvelle permettant des échanges incessants d’informations d’importance très variable: que ce soit avec quelques centaines d’«amis» ou à l’échelon de la Toile et de la blogosphère, par des commentaires, des photos ou encore des clips visibles par des millions d’internautes, en quelques heures.
Il faut vivre avec son temps. Alors, le docteur ou l’infirmière qui se présente avec des tenues ou gestes «originaux» et surprenants? Rien à dire? Quelque chose à dire pour le moins quand il y a une connotation discutable, voire condamnable (sexuelle, violente, vulgaire, extrémiste, raciste). Là comme ailleurs, la valeur cardinale est le respect réciproque.
Les médecins et d’autres ne sont plus tenus de paraître en habit formel foncé, avec des airs sérieux et en évitant tout tapage. Reste qu’il convient de se souvenir que la médecine et les soins demandent la réunion et la collaboration d’une conscience (du professionnel), de la science et de compétences relationnelles et techniques, et d’une confiance, celle du malade. Quand ces praticiens sont visibles publiquement, il parait préférable que l’observateur, et le patient tout particulièrement, ne soit pas amené à se demander s’il peut encore faire confiance à leurs qualités humaines et professionnelles.