Il est commun de vivre d’appartenances multiples
Charlotte Kuffer, ancienne présidente de l’Eglise protestante de Genève, a souhaité réagir à notre chronique de la semaine passée.
Photo: CC(by-nc-sa) Daniela Hartmann
La double nationalité est sujette à de multiples enjeux (je l’éprouve personnellement), dont ceux qu’aborde Suzette Sandoz. Le prisme d’en retenir la possible instrumentalisation à des fins personnelles me paraît un peu étroit. J’aimerais ici pousser un peu la réflexion, tant il est commun à tous les citoyens de vivre d’appartenances multiples qui nous constituent qu’on le veuille ou non.
Au nom de la «pureté» de l’origine, faudrait-il aussi, par exemple, que nous nous unissions à un conjoint du même canton (j’ai moi-même dû changer d’origine en 1979, un comble pour la vaudoise que je fus!), voir du même lopin de terre tant on est toujours l’étranger de quelqu’un!
Dès lors, à des niveaux différents, nous sommes tous appelés à l’intelligence que requiert la nécessité récurrente de se positionner dans des conflits de loyauté, personnels, culturels, spirituels, etc. Cela fait la richesse de l’existence et nous distingue des animaux qui règlent la gestion des territoires, le droit d’y habiter et de s’y reproduire par de violentes confrontations physiques.
L’humain, nomade par nécessité depuis la nuit des temps, a la capacité de s’adapter et les règles politiques, économiques et sociales, élaborées démocratiquement, sont là pour aménager le vivre ensemble dans une diversité certes plus ample qu’autrefois à l’heure de la mondialisation que permet la mobilité mécanisée.
L’assimilation (j’ai été formée à l’école piagétienne) n’est pas une conformité à un environnement nouveau, imposée par ceux qui sont «dans la place», mais la recherche personnelle active, tournée vers la vie, de s’y faire une place, d’y contribuer au bien-être de tous pour y vivre en paix. Le concept d’assimilation gagne à être articulé avec celui d’accommodation, soit le mécanisme qui permet d’apprendre puis de faire siens les paramètres du «nouveau logiciel» qui se construit pour le «migrant» appelé à se sédentariser. L’éducation, au sens le plus large du terme, y concourt.
Avec le temps, prendre la nationalité du pays où l’on habite, bénéficier des droits civiques, voire s’engager au niveau politique comme associatif, conforte la cohérence interne. Celle-ci est le fruit de choix et d’arbitrages par l’individu initialement déplacé et lui permet de «rendre» à la communauté ce qu’il a reçu lorsqu’accueilli, il avait besoin de protection.
Favoriser les échanges entre les différentes cultures qui constituent notre corps social, composite de fait, y compris au niveau spirituel, offrir une éducation civique attractive sont des attitudes de reconnaissance active, potentiels antidotes aux frustrations, sources de tant de violences, de délinquance, etc.
Les autorités nationales, cantonales, communales, peuvent, et c’est leur rôle, infléchir le risque d’instrumentalisation que décrit Suzette Sandoz, au profit d’une intégration réciproque de leurs administrés, faite de partage de dons dans leur diversité apprivoisée. Elles favoriseront ainsi la créativité dont notre pays a besoin dans l’impitoyable concurrence économique et les déchirements identitaires, bruts de toute domestication, dont la planète souffre chroniquement.