Accueillir les personnes menacées et chassées de chez elles: les chrétiens d’abord?

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Accueillir les personnes menacées et chassées de chez elles: les chrétiens d’abord?

15 octobre 2014
Chaque semaine, Protestinfo laisse carte blanche à une personnalité réformée.

Le Dr Jean Martin, ancien membre de la Commission nationale d’éthique, revient sur la proposition de l’UDC d’accorder l’asile en priorité aux chrétiens persécutés.

Illustration: «Le bon Samaritain» de Joseph Aubert, peinture murale, Chapelle du Sacré-Cœur, Paris

Nous sommes tous, quotidiennement, sous le coup des drames multiples qui secouent le Proche-Orient. Stupéfaits, scandalisés, incrédules. Avec d’autres, je pensais qu’on pouvait attendre un certain «progrès» dans l’Histoire, dans les relations entre les humains et leurs groupes divers; un respect mutuel des différences («la différence, c’est enrichissant» est une de mes expériences et convictions).

Et, même si les chrétiens se sont illustrés dans les siècles passés par des manières militantes et trop souvent sanguinaires de propager leur religion ou leur confession (d’affirmer leur foi?), le fait est que le mot de barbarie vient vivement à l’esprit devant certaines atrocités actuelles de tenants d’autres religions. Ceci dans un monde globalisé et interdépendant, où il n’y a guère d’endroit dont des habitants ne sont pas allés, pour affaires, études ou en touristes, dans des pays bien éloignés du leur.

Comment, au début du XXIe siècle, un obscurantisme fanatique (une foi…) peut-il amener certains de nos congénères à se comporter de telle manière? Ce qui me fait rappeler le mot, d’un de Pury sauf erreur, qui quand il entendait dire d’animaux qu’ils montraient un comportement quasi humain, jugeait que c’était une insulte vis-à-vis d’eux –dont on sait qu’ils ne tuent pas sans raison qu’on peut dire nécessaire, et sauf exception pas au sein de leur propre espèce. Homo homini lupus… Le moins qu’on puisse dire, c’est que la formule ne vieillit pas.

Un devoir moral

Devant tant d’exactions, on veut aider, soulager, idéalement prévenir. On en a le devoir moral. Une pulsion qui à première vue ne prête guère à critique est d’aider d’abord ceux qui nous ressemblent, avec qui l’on a des affinités, des liens (de sang, le cas échéant). Tout parent fait de cette manière s’agissant de ses enfants, chaque ami vis-à-vis de celui auquel il est attaché.

Est-ce à dire qu’on peut entonner les trompettes de tels politiques qui récemment, s’agissant du Proche-Orient, souhaitent privilégier les chrétiens dans la mise à disposition des secours et plus avant de l’accueil de réfugiés échoués à nos portes?

On ne peut ignorer la très grande complexité du problème, les possibles justifications de «choix prioritaires». Mais ce qu’on trouve logique, voire impératif, de la part de n’importe quel parent ou ami est hautement discutable, en réalité inacceptable, dès lors que cela est du registre d’une politique générale et publique (étant admis que, sous réserve de démarches pénalement punissables, les privés gardent en principe toute liberté d’action).

Quand est-on discriminatoire?

A partir de quoi/quand est-on discriminatoire? Raciste? Xéno-religio-phobe? Je suis fermement attaché au fait qu’a été promulgué un droit international supérieur; une construction juridique fondamentale avec des règles impératives sur lesquelles les nations se sont mises d’accord (ceci même s’il n’est pas exclu que dites règles puissent être, le temps passant, aménagées sur tel ou tel point). Pas question, à mon sens, de se rallier à qui voudrait, au vu de notre incomparable excellence et au mauvais motif d’une sorte de sacralisation de l’opinion populaire, qu’un tel droit supérieur soit déclaré nul et non avenu en Suisse.

Pour en revenir à la question du Proche et Moyen-Orient où des chrétiens vivent depuis deux millénaires, mais sont en ce moment en danger de tout perdre, y compris la vie, la Suisse pourrait-elle officiellement dire que, dans l’aide qu’elle est susceptible d’apporter sur place ou en Suisse, on servira d’abord ceux appartenant à une religion donnée? Non. Pas possible que de tels critères de priorisation/discrimination soient inscrits dans une règle publique (ce faisant, nous nous rapprocherions à vrai dire, dangereusement, des doctrines des auteurs des scandaleuses exactions récentes).

La non-discrimination est un point fondamental dans l’histoire des idées qui ont fait notre société, aujourd’hui ancrées dans les constitutions (ainsi l’article 8, «Egalité», de la Constitution fédérale du 18 avril 1999).

Un examen objectif

Il me semble toutefois nécessaire d’ajouter la précision suivante: il se peut, c’est même avéré, que dans certaines situations les chrétiens soient plus menacés que d’autres. C’est alors un élément qui doit être pris en compte, par les services chargés d’évaluer les risques objectifs pour la vie, la liberté, la santé des personnes –en conséquence, on pourra trouver plus de chrétiens parmi les personnes accueillies, mais ce sera suite à cet examen objectif et pas en application d’une politique les privilégiant en tant que tels.

Le droit supérieur mentionné plus haut est ici en accord avec l’Ecriture. Les exemples sont nombreux où Jésus refuse de discriminer ou juger. On pense aussi à: «Il n’y a ni Juif, ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme» (Galates, 3, 28). Cette phrase fait référence à ce que tous deviennent également enfants de Dieu par la foi; le non-théologien que je suis aimerait croire qu’elle est applicable par analogie à la question ici discutée.

Des questions comparables en éthique médicale

Pour conclure, et c’est un domaine où je me suis passablement engagé, je signalerai que des questions comparables se posent en éthique médicale dans des situations de rareté de moyens thérapeutiques –qu’il s’agisse de vaccins, d’organes à transplanter ou d’autres ressources (et les discussions vis-à-vis de réfugiés tournent souvent autour de limites des possibilités d’accueil et de moyens). En médecine et santé publique, le principe et clair: le statut social, la richesse, le genre ou d‘autres caractéristiques ne doivent pas jouer de rôle dans les choix qu’on est parfois contraint de faire. On peut affirmer que chacun chez nous souhaite qu’il en soit ainsi, et ne veut pas que les VIP et autres personnalités, ou les personnes de telle sensibilité religieuse soient servies avant les autres.