Détracteur ou thérapeute? Certains athées actifs sur internet voient leur travail comme un appel

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Détracteur ou thérapeute? Certains athées actifs sur internet voient leur travail comme un appel

Kimberly Winston
9 décembre 2014
De «fervents athées» défendent ardemment leur vision du monde sur internet. Suscitant les débats, ils estiment leurs activités nécessaires pour que chacun se remette en question.

Photo: © RNS

(RNS - Protestinter)

Il y a encore deux ans, Max était catholique. Sa foi était si profonde qu’il lui arrivait de pleurer lorsqu’il prenait l’hostie. Puis, il y a eu la tuerie de l’école primaire Sandy Hook, en décembre 2012, où vingt écoliers et six adultes ont été assassinés par un homme armé. A ce moment précis, une cloche s’est mise à sonner dans sa tête, répétant «Dieu n’existe pas, Dieu n’existe pas».

Actuellement, Max a choisi comme pseudonyme sur internet: «Max l’athée». Cet artiste d’une cinquantaine d’années, originaire du nord-est des Etats-Unis, passe plus de deux heures par jours sur le web à débattre au sujet des croyances religieuses dans la rubrique commentaire du site Religion news services (RNS).

Max a écrit plus de 3600 commentaires durant les douze derniers mois. Personne n’en a produit autant que lui. Beaucoup de ses remarques peuvent être interprétées comme de la colère, de l’hostilité et de la provocation –ce qui lui vaut, selon certaines personnes, le statut de détracteur sur la toile–. Il se comporte comme un activiste délibérément perturbateur qui se plaît à créer le chaos. Il a, entre autres, écrit: «Jésus est méprisable» et d’autres commentaires équivalents, à plusieurs reprises. Des insultes pour certains lecteurs qui lui répondent avec ferveur. Certains utilisateurs l’ont surnommé «mesquin» ou «en colère».

Mais des entretiens avec Max et d’autres commentateurs athées sur différents sites religieux ont révélé que leur motivation est bien plus profonde que la perturbation et la colère. Alors que certains les voient comme des détracteurs, eux-mêmes se considèrent comme des thérapeutes. Et loin de chercher à produire le chaos, ils ont leur propre code de conduite qui, selon eux, les empêche d’écrire des commentaires insultants ou haineux.

Alors que les détracteurs en ligne (appelés «trolls» en argot internet) sont souvent blâmés pour répandre la haine, Max et ses homologues affirment qu’ils vivent une sorte de vocation qui les pousse à prendre position –parfois avec douceur et parfois de façon virulente– contre ce qu’ils considèrent comme «la source véritable de la haine et de l’intolérance dans le monde».

Attaquer les croyances, pas les personnes

«Je ne veux surtout pas être un rustre», explique Max, qui s’exprime anonymement pour protéger sa famille, dont un oncle prêtre. «Je suis déterminé à attaquer les croyances, mais aucun individu en personne. Je ne sais pas si j’y arrive et je recherche perpétuellement le meilleur moyen de le faire».

Max n’est pas le seul à considérer ses commentaires en ligne comme bienveillants plutôt que dénigrants. Plusieurs commentateurs athées ont souligné une démarche altruiste dans le fait de passer dix heures par jours à débattre de religion en ligne. Ils décrivent leurs activités comme un devoir, voire même une sorte de travail missionnaire.

«Je pense que c’est une responsabilité», déclare Rocky, un athée canadien de 18 ans qui discute de religion et de politique sur les forums de jeux informatiques, y compris sur TombRaiderForums.com. «Au début, je ne faisais que partager mon opinion, mais j’ai réalisé que les gens pouvaient vraiment changer et que je pouvais provoquer ces changements».

Athée depuis longtemps, Rocky a ses propres règles morales. Il essaie d’être respectueux, de se mettre dans la peau des autres et d’éviter les insultes. Selon lui, son activité fonctionne dans certaines situations. Par exemple, lorsqu’il a discuté avec un homosexuel chrétien qui souffrait de dépression et de dégoût de soi, car son orientation sexuelle était condamnée par sa religion. «Je l’ai amené à s’interroger sur ce que disait la Bible sur l’homosexualité», explique Rocky. «Je lui ai demandé de rompre avec la croyance religieuse et l’hypocrisie. Et je pense qu’il a réussi à se réconcilier avec lui-même grâce à ce que j’ai dit».

Dépasser les limites

Le code personnel de conduite de Max est en pleine mutation. Il essaie toujours de repousser les limites, une façon de travailler sur son athéisme. «L’athéisme et les commentaires sont encore nouveaux pour moi. Je ne sais pas où sont les limites. J’en ai franchi la ligne et je me suis senti mal. J’essaie de trouver une façon d’attaquer puissamment la religion… sans attaquer les personnes qui y croient».

Toutefois, la plupart des athées ne récoltent que peu de succès sur les forums, lorsqu’ils essaient de convertir des personnes croyantes. Matt Davis, un athée anglais de 33 ans qui participe à de nombreux débats sur des sites américains chrétiens et athées, se sent souvent frustré par la distance ses interlocuteurs et entre lui-même. «La plupart des gens ne changent pas d’avis», constate Matt David. «Mais peut-être que j’influence certaines personnes qui lisent les commentaires».

«Peut-être», acquiesce Jonathan Bishop, l’expert derrière «The Crocels trolling academy», un site web qui soutient la liberté d’expression sur internet. Pour lui, les athées qui essaient de convertir les croyants sur internet sont des «iconoclastes dominateurs». Jonathan Bishop souligne qu’ils doivent également participer à rendre internet libre pour tous. «Lorsqu’ils ne font qu’informer, par opposition à ceux qui harcèlent ou qui traquent, les détracteurs religieux peuvent être bénéfiques pour encourager les personnes croyantes et sceptiques à se remettre en question avant de juger les autres», explique Jonathan Bishop.

L’intérêt réside dans le débat

Hemant Mehta, dont le blog Friendly Atheist (les athées bienveillants) bénéficie d’environ 4 millions de vues par mois, a remarqué personnellement que lorsqu’un de ses articles était commenté par un certain chrétien texan, cela engendrait les plus longues chaînes de commentaires sur son blog. «Derrière ces commentaires provocants, il y a un être humain réfléchi, attentionné et mesuré dans ses opinions», explique-t-il. «Il n’essaie pas d’être antagoniste, juste pour le plaisir de s’opposer: il a simplement une autre vision des choses que moi. Il pense sincèrement que je me trompe et je pense la même chose de lui. Et c’est justement là tout l’intérêt. Je pense que mon blog est important, car il permet ce genre de discussion», a constaté Hemant Mehta.

Susciter le débat est ce qui stimule Matt David, l’athée anglais, à faire des commentaires. Il lit beaucoup d’articles en ligne sur la religion, ainsi que des commentaires de chrétiens fondamentalistes et de personnes de droite, et il s’inquiète quand il ne trouve pas de contre-arguments à leurs déclarations. «Je pense que c’est important de donner mon opinion», explique-t-il. «Si j’arrive à rendre une poignée de personnes plus raisonnables et moins conflictuelles, cela rend le monde meilleur».