Diagnostic préimplantatoire – Bien discutable de sous-estimer le sérieux de la réflexion des couples concernés
Le Dr Jean Martin, ancien médecin cantonal vaudois et ancien membre de la Commission nationale d’éthique défend l’introduction, dans certaines limites, du diagnostic préimplantatoire en Suisse. La voix des futurs parents doit se faire entendre dans ce débat.
Le 14 juin prochain, le peuple suisse se prononcera sur une modification de l’article 119 de la Constitution fédérale. Cette modification est rendue nécessaire dans l’optique d’une disposition nouvelle de la loi sur la procréation médicalement assistée (PMA) autorisant, dans des limites précises, la pratique du diagnostic préimplantatoire (DPI). On sait que le DPI est admis dans des pays qui nous sont proches, France et Belgique notamment –où aujourd’hui les couples suisses sont contraints de se rendre pour bénéficier de cette technique.
Les débats à ce propos seront vifs sur la place publique. Certains jugent qu’il y a là une dérive inacceptable de type eugénique et critiquent une poussée vers l’enfant parfait (alors qu’on parle en réalité d’éviter des maladies graves). Il faut ici souligner que le diagnostic prénatal (DPN) est pratiqué chez nous; il s’agit d’examens durant la grossesse (concernant le fœtus dans le ventre de sa mère), avec la possibilité d’une interruption (IG) si une anomalie est détectée; or, l’éventualité de l’IG dépend de la seule détermination de la femme jusqu’à la 12e semaine, le peuple suisse l’a voulu ainsi en 2002.
Les opposants semblent penser que le choix possible du DPN est moins grave que celui du DPI où, in vitro, avant donc toute grossesse, on choisit en vue d’implantation un embryon qui ne porte pas le défaut génétique qui mènerait à une affection grave. En dépit de ses aspects positifs, ils refusent le DPI. On peut se demander quelle considération ils accordent à la réalité de la vie de nos contemporains.
Aujourd’hui déjà, les couples choisissentAujourd’hui déjà, des décisions sont prises que personne ne conteste: indépendamment de toute technique médicale, les couples choisissent le moment auquel ils souhaitent des enfants et leur nombre. Avoir cinq enfants représente aujourd’hui une grande famille alors que biologiquement la femme peut en avoir une vingtaine; de très nombreux enfants ne naissent pas alors qu’ils pourraient naître.
Or, c’est notamment au motif de tels choix délibérés que les opposants ne veulent pas du DPI. Alors que des options qui peuvent être caricaturées comme «décider qui vit et qui meurt» interviennent fréquemment au sein des familles, est-il défendable de refuser que la médecine assiste celles qui sont à grand risque d’avoir des enfants porteurs d’importants déficits? Au nom de quoi? De l’idée qu’il est impératif de les laisser dépendre d’une «nature» qui joue aux dés avec leurs gamètes?
Garantir un pourcentage de personnes vivant avec un handicap?Autre argument, la crainte que les personnes porteuses de handicaps, si elles deviennent de plus en plus rares, ne soient plus acceptées –et assistées– de la même manière par la société; le risque qu’elles soient ostracisées serait plus grand du fait que tout un chacun a moins d’occasions de les rencontrer. Cette préoccupation mérite tout notre respect. Cela étant, tendrait-on à dire que, pour être solidaire, une collectivité devrait comporter un tant pour cent de personnes porteuses de déficits? Est-il imaginable de préserver notre vivre ensemble en refusant la possibilité, dans des cas qui le justifient, d’éviter la naissance d’enfants avec de sérieux handicaps ou affections?
Dans un débat récent à la radio romande, les représentants des familles concernées faisaient bien la part des choses, ne s’opposant pas au DPI dans le cadre prévu en Suisse –et, tout en donnant beaucoup d’amour à leur enfant handicapé, reconnaissant qu’ils seraient heureux d’avoir par le DPI la possibilité d’un autre enfant qui n’aurait pas ce grave souci de vie. On a entendu un philosophe dire qu’on ne saurait laisser à «l’arbitraire des parents» des choix tels que ceux qu’implique le DPI. Alors que, on vient de le rappeler, des choix procréatifs sont constamment faits en toute liberté au sein des familles. Arbitraire des parents…?
Les patients ne sont pas irresponsables!J’ai été médecin officiel et une longue carrière m’a convaincu que l’Etat est bien avisé de faire preuve de retenue avant de se mêler de régler la vie privée des citoyens, voire dans le cas particulier leur vie intime. Une «élite» craindrait-elle que des personnes du commun prennent des déterminations frivoles, pour des motifs discutables de pure convenance? Il ne s’agit pas de nier que cela puisse arriver, mais ce que j’ai appris au cours des années me fait penser que, pour l’essentiel et notamment sur ces thèmes, les gens ne sont pas irresponsables!
La Dre Véronique Fournier, qui dirige le Centre d’éthique clinique de l’Hôpital Cochin, à Paris, a déclaré, à propos de ses entretiens avec des couples demandeurs de PMA: «La conception même d’un garde-fou mis en place par la société pour protéger les enfants [à naître] des excès de leurs parents leur était incompréhensible. Qui mieux qu’eux connaissait le vrai prix à payer de tel ou tel choix? En revanche, ils comprenaient que leur médecin ait besoin de réfléchir avec d’autres afin de les guider au mieux».
Dans un pays comme le nôtre qui valorise tellement la liberté de détermination du citoyen, veut-on dire que telle commission officielle ou tels fonctionnaires fédéraux seront plus «intelligents» que les couples dans ces décisions (dont on sait au reste combien elles sont lourdes)?
Il est clair que la médecine et ses avancées lancent de sérieux défis. Cela exige qu’on y réfléchisse en termes d’éthique et c’est pour cela que des commissions d’éthique, y compris au niveau national, sont mises en œuvre. Mais il est nécessaire que ces experts incluent dans leurs réflexions des considérations de réalité et de bon sens quotidien, s’agissant de la vie qui est aujourd’hui la nôtre.
Le risque d’une médecine à deux vitessesAu risque de me montrer indûment terre-à-terre, un élément encore: en refusant le DPI, avec l’idée d’être meilleur que les voisins (être «plus saints que vous», disent les Anglo-saxons), on maintient une situation où les familles aisées obtiennent sans autre (avec souvent l’aide de leur médecin) cette prestation à l’étranger, mais où cela n’est pas envisageable pour les personnes moins aisées. Argument matériel, c’est vrai, mais qui ne peut être sommairement balayé du dos de la main. Là aussi, il s’agirait de maintenir une société un peu solidaire.