Des réfugiés syriens expriment leur désarroi face à l‘Etat islamique

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Des réfugiés syriens expriment leur désarroi face à l‘Etat islamique

Michael Kaplan
2 mars 2015
Ancienne recrue de l’Etat islamique, Hassan, un jeune syrien explique la montée au pouvoir de ce groupe. Entre coups de fouet et lapidations, les exécutions publiques sont monnaie courante à Raqqa.

Photo: ©RNS

(RNS-Protestinter)

Sanliurfa, Turquie – Hassan, un syrien âgé de 20 ans, fume une cigarette dans un café qui se trouve de l’autre côté de la frontière avec son pays, en Turquie. Il fait partie des milliers de personnes qui ont échappé aux griffes du groupe de l’Etat islamique. Il n’y a pas si longtemps, Hassan était l’une de leur recrue. Il a suivi quatre mois de formation sur la religion où il a appris à prier et à lire le Coran, tout en patrouillant entre les postes de contrôle des rebelles. «Nous les aimions tellement», se rappelle Hassan, qui a souhaité utiliser un nom d’emprunt par peur de représailles envers les membres de sa famille encore en Syrie. «Ils nous ont donné tellement d’informations et nous ont enseigné de belles choses à propos de l’islam». Mais, ensuite, la situation a changé.

Alors que le pouvoir du groupe de l’Etat islamique augmentait, Hassan a vu grandir les ordres ciblant les groupes rebelles sunnites. «Aux postes de contrôle, ils ont demandé aux recrues d’arrêter ou de tuer les membres affiliés à l’armée syrienne libre», explique Hassan qui a d’ailleurs pris en charge, avec sa famille, quelques personnes d’un groupe rebelle.

Sa mère qui devenait de plus en plus mécontente avec les règles strictes imposées par l’Etat islamique, lui a demandé franchement: «Pourquoi fais-tu cela? C’est injuste!». Peu de temps après, alors que des combats intenses ont éclaté avec une autre brigade islamique, Ahrar ash-Sham, Hassan a décidé d’arrêter de se battre pour l’Etat islamique. «Le groupe semblait avoir perdu ses objectifs dans sa lutte contre le régime syrien. Il a également perdu contact avec les civils», explique-t-il.

On n’en sait peu sur la façon dont le groupe est perçu par ceux qui vivent sous sa coupe. Mais alors qu’il conquiert de nouvelles terres, un flux régulier de réfugiés syriens vient s’installer dans le sud de la Turquie. Ces réfugiés expliquent que le succès du groupe dans l’établissement de l’ordre, qui dans un premier temps a reçu le soutien des locaux, a depuis été éclipsé par une brutalité continue – largement considérée comme en désaccord avec les traditions musulmanes locales – qui a favorisé un sentiment de colère.

Soutien à l’Etat

«Au début, le groupe de l’Etat islamique a reçu un certain soutien», relève Ahmed Saleh, un ancien imam de la ville syrienne de Deir az-Zor. «Mais leur gentillesse et leur attitude compassionnelle du début a disparu avec des comportements intolérants et injustes». Les réfugiés ont souligné que les lois de l’Etat islamique sont considérées comme excessivement sévères et souvent arbitraires. Actuellement, les villes le long de la frontière sud de la Turquie regorgent de réfugiés. Une grande partie des 500'000 réfugiées habitent à Sanliurfa, une ville d’environ 1,8 millions d’habitants. Ils viennent du nord-est de la Syrie, dont une grande partie est maintenant sous contrôle de l’Etat islamique.

Parmi eux, d’anciens combattants qui craignent que le groupe les prenne pour cible à cause de leur affiliation avec d’autres mouvements politiques. Il y a aussi des civils qui ont fui des régions sous contrôle d’autres groupes rebelles au milieu des bombardements par le régime syrien. Certains sont allés en Turquie, où il y a des points de contrôle ouverts. «L’Etat islamique ne comprend pas l’islam comme nous, les Syriens, la comprenons», souligne Ahmed Saleh, notant que beaucoup de dirigeants et de combattants viennent d’Irak, d’Arabie Saoudite, de Tunisie et d’ailleurs. «Punir les gens ne devrait pas être un objectif», ajoute-t-il.

Après avoir quitté le groupe militant, Hassan s’est installé à Raqqa, la capitale de facto de l’Etat islamique en Syrie, afin de vivre comme un citoyen. Mais il a eu du mal à se conformer aux nouvelles règles rigides. A plusieurs reprises, il a eu des ennuis avec la police religieuse armée de l’Etat islamique, appelée al-Hisba, responsable de l’application des codes religieux et moraux. Une police parallèle exclusivement pour les femmes, appelée al-Khansa, s’assure que les femmes suivent les règles.

Fouetté pour avoir fumé

Il a partagé une photo sur son téléphone portable montrant des traces de fouet sur son dos, recouvert de sang, à l’époque où il a été attrapé en train de fumer une cigarette, dans son magasin. Une autre fois, il a été jeté en prison et battu après qu’un passant ait signalé à al-Hisba qu’il s’était assis à côté d’une femme (al-Hisba récompense ses informateurs de 50 dollars). Puis, un jour, alors qu’Hassan retournait à son magasin après l’avoir quitté pour aller prier, il a trouvé la porte cadenassée. C’est à ce moment qu’il a décidé qu’il était temps de partir.

Selon les lois du groupe de l’Etat islamique, se faire prendre avec de l’alcool est passible de 80 coups de fouet et pour des cigarettes, c’est 40 coups de fouet. Les femmes doivent être accompagnées par un homme en public. Elles doivent porter des vêtements noirs ainsi qu’un voile. Les hommes doivent se laisser pousser la barbe et porter des pantalons qui leur recouvrent les chevilles, conformément à une pratique islamique particulière.

Les crimes les plus graves – allant de l’homosexualité à la rébellion contre le gouvernement – sont rapportés à des juges qui ont le pouvoir d’appliquer des châtiments corporels sévères, y compris la lapidation, l’amputation et la décapitation. Les exécutions publiques sont des événements hebdomadaires, à Raqqa.

Tuer les érudits

Beaucoup de lois de l’Etat islamique sont enracinées dans une lecture littérale du Coran ignorant les traditions. Mis à part les récits racontés par le prophète Mahomet, appelés «hadith», aucunes autres sources parmi la grande tradition juridique de l’islam ne sont prises en compte pour déterminer un verdict judiciaire ou l’adoption d’une loi. Selon un journaliste syrien de Raqqa, l’Etat islamique a rapidement réalisé qu’il serait en conflit avec les responsables religieux locaux à cause de sa façon simpliste d’aborder l’islam. «La première action de l’Etat islamique a été de tuer les personnes qui connaissaient la religion», explique ce journaliste qui écrit sous le pseudonyme de Zaid AlFares.

Ceux qui soutiennent une compréhension contradictoire de l’islam, y compris ceux qui sont affiliés avec des groupes rebelles concurrents, règnent en hérétiques. Ils sont dirigés par Abu Bakr al-Baghdadi, chef autoproclamé, leur guide spirituel et politique. Ahmed Saleh pense que l’Etat islamique pourrait prochainement subir un soulèvement du public. «Si la population de Raqqa et de Deir az-Zor pense qu’ils vont être aidés, il y aura bientôt une révolution», estime-t-il.