La Suède veut réaffirmer ses valeurs d’ouverture et de tolérance

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La Suède veut réaffirmer ses valeurs d’ouverture et de tolérance

Petra Socolovsky
10 mars 2015
Il y a peu, les Suédois voyaient leur pays comme refuge face aux conflits dans le monde et face à l’oppression. Mais la montée de l’antisémitisme inquiète. D’importantes mesures ont été prises pour tenter de retrouver cette tolérance qui faisait leur fierté. Analyse d’une journaliste indépendante suédoise qui vit aux Etats-Unis.

Photo: Willy Silberstein, à droite, Droga Birgitta Ohlsson, la ministre suédoise des affaires européennes, au centre et Joshua Kaufman sortent d’une synagogue lors d’une marche de soutien. Prvulovic/Scanpix/REUTERS/RNS

(RNS-Protestinter)

Quand un militant extrémiste a fait irruption dans un supermarché casher à Paris peu après le massacre des dessinateurs à la rédaction de Charlie Hebdo, les médias suédois ont décrit l’évènement comme une prise d'otage dans un magasin alimentaire. Il n'y avait aucune mention de motivation antisémite.

Maintenant, le revirement est complet et se traduit par une discussion à plein régime dans les médias sur l'ampleur et les racines de l'antisémitisme en Suède, qui se targue d'être un phare de tolérance et d’ouverture. «La Suède s’est réveillée de son illusion de conte de fées, dans laquelle elle se voit comme une société sans racisme», a déclaré Willy Silberstein, président du comité suédois contre l'antisémitisme, le SKMA.

Un reportage en caméra cachée brise le rêve suédois

Pour que les attentats à Paris déclenchent un débat qui inonde les unes des journaux, avec des cours accélérés sur l'histoire et les origines de l'antisémitisme en Europe et au Moyen-Orient, il a fallu un évènement interne au pays. Le moment décisif de ce retournement a été en fait le reportage en caméra cachée d’un journaliste de télévision, qui n’est pas juif, et qui a mis une kippa sur sa tête pour faire le tour des quartiers musulmans de Malmö, la troisième plus grande ville de Suède.

Les téléspectateurs de la très populaire émission Uppdrag Granskning ont alors été choqués de voir le journaliste se faire insulter et menacer, et cela a également été l’occasion d’une prise de conscience pour de nombreux juifs. Après l'émission, le débat s’est intensifié dans les pages éditoriales. «Je suis né en Suède. Mais il y a des endroits où je ne peux pas accéder en portant mon étoile de David autour du cou ou une kippa sur la tête», a déclaré Willy Silberstein, dont l'organisation tente depuis des années d'alerter les autorités de Malmö au sujet de l'antisémitisme.

Mesures de sécurité antiterroriste renforcées

Peu de temps après, deux attaques dans le pays voisin ont fait grandir la peur. La première s’est déroulée dans un café de Copenhague, où se tenait une manifestation sur la liberté de parole. La cible en était Lars Vilks, un artiste suédois connu pour ses représentations provocantes du prophète de l’islam, Mahomet. La deuxième s’est déroulée contre une synagogue danoise, devant laquelle un garde de sécurité juive a été tué. A la suite de ces attaques, le niveau de sécurité s’est intensifié, en Suède, à l'extérieur des institutions et des écoles juives, avec la présence de policiers armés de mitrailleuses. Des scènes en porte-à-faux avec l'image que ce pays a de lui-même, comme étant une société sûre et ouverte.

«Les enfants ne sont pas autorisés à sortir pendant la récréation, en raison de problèmes de sécurité. L'école est comme un bunker», a déclaré Petra Kahn Nord, dont les trois enfants vont dans une école juive à Stockholm. Le camp de vacances de son fils aîné a été annulé en raison de problèmes de sécurité, et maintenant elle est en train d’envisager un déménagement aux États-Unis ou en Israël.

«Les parents font des recherches sur le site internet de l'ambassade américaine, afin de vérifier les possibilités de travail en Amérique aujourd'hui. Beaucoup ne se sentent plus en sécurité en Suède.» Selon une enquête menée en 2013 par l'Union européenne, les Juifs suédois craignaient déjà plus de porter des symboles religieux juifs, comme la kippa ou l’étoile de David, que les Juifs de Belgique, d’Allemagne, de France, de Hongrie, d’Italie, de Lettonie et du Royaume-Uni.

La composition de la population suédoise a changé

La Suède a reçu un grand nombre de réfugiés en provenance de Somalie, d’Irak et maintenant de Syrie. Environ 15% de la population est née à l'étranger. En quelques décennies, l’homogène pays de blonds s’est transformé en une société multiculturelle dynamique. Les Suédois ont également des difficultés dans leur approche des immigrants issus du monde musulman. Le ressentiment s’accroît, comme en témoigne le parti nationaliste anti-immigration, les démocrates de Suède, qui a remporté 13% des votes dans les élections de l'automne dernier.

Le Service de sécurité suédois estime que 300 citoyens suédois se battent aux côtés du groupe Etat islamique en Syrie. La Suède ne dispose d’aucun cadre juridique pour les empêcher de partir, puis de revenir au pays. Les responsables de la sécurité peuvent seulement demander aux 130 combattants suédois actuellement connus de leur dire quand ils quittent la Suède. La nouvelle législation devrait réglementer de tels voyages.

Une intégration réussie?

Il faut souligner que les musulmans qui sont ouvertement hostiles aux Juifs sont une minorité. Cependant, le chercheur en études islamiques, Eli Gondor, a mis en évidence que de nombreux immigrants -en particulier ceux du monde arabe- qui ont vécu chez eux des dizaines d’années de propagande anti-israélienne, portent ancrées en eux des notions antisémites. «Mais ce ne sont pas les valeurs suédoises», a déclaré Siavosh Derakhti, fondateur du groupe «jeunes musulmans contre l'antisémitisme et la xénophobie». «Et s’ils veulent vivre en Suède, ils doivent s’adapter. Ils me traitent de raciste parce que je dis cela. C’est le problème en Suède. Les gens ont peur de fixer des limites, peur d'être qualifiés de racistes».

Les stéréotypes antisémites ne sont pas réservés aux immigrants. Lorsque la radio suédoise publique a récemment interviewé l'ambassadeur d'Israël en Suède, Isaac Bachman, le journaliste lui a demandé à plusieurs reprises: «est-ce que les juifs sont responsables de la montée de l'antisémitisme?». Isaac Bachman a finalement répondu que la question était du même ordre que de rendre responsable une victime de viol de son agression.

«J’ai ressenti comme une trahison le fait de poser cette question alors qu’un gardien de la synagogue juive venait juste d'être assassiné à Copenhague», a déclaré Negar Josephi, membre d’une radio suédoise publique indépendante, qui a publié un billet d’opinion pour protester. La radio suédoise publique s’est excusée, disant que l'animateur était stressé. «Oui, c’est comme si quelqu’un lâchait soudainement la pire des insultes parce qu’il est stressé», a rétorqué Negar Josephi. Cette dernière est convaincue qu'il existe un profond manque de connaissance de l'histoire juive et de la géopolitique du Moyen-Orient. «Beaucoup de Suédois ne sont pas capables de distinguer les juifs des Israéliens» explique-t-elle. Après les attentats de Copenhague, un journaliste de télévision suédoise, décrivant le mémorial à la synagogue danoise, a vu un drapeau israélien et l'a appelé "le drapeau juif"».

Des prises de positions fortes et d’importants moyens pour lutter contre le racisme

Alors que le débat prend des connotations politiques, avec quelques gauchistes disant que le problème réside principalement dans l'islamophobie et prétendant que le droit politique ne se concentre que sur l'antisémitisme, Siavosh Derakhti, le jeune activiste musulman qui lutte contre la discrimination envers des minorités, affirme que les musulmans et les juifs ont besoin de se serrer les coudes. «Il ne devrait pas y avoir de compétition pour savoir quelle est la minorité la plus discriminée», at-il dit. «Nous devons nous aider les uns les autres»

Le jeune homme a rejoint un «cercle de la paix» humain autour d'une synagogue de Stockholm, main dans la main avec les autres participants, dans une manifestation contre l'antisémitisme, calquée sur un événement similaire à Oslo. S’adressant à la foule dans le froid crépuscule d'hiver, Stephan Löfven, le Premier ministre, a dit à la foule que c’était aux Suédois qu’il appartenait de décider quel genre de société qu'ils souhaitaient être.

«Nous ne pouvons pas laisser la haine s’emparer de la société», a-t-il affirmé. Le gouvernement a alloué 25 millions de dollars pour qu’un effort éducatif soit mené contre l'antisémitisme et le racisme. Quand le Premier ministre est intervenu à la grande Synagogue de Stockholm pour la commémoration du 70e anniversaire de la libération d'Auschwitz, le roi Carl Gustaf XVI et la reine Silvia étaient assis au premier rang.