Hommage aux victimes de Garissa
Photo: Carte du Kenya
L’attaque de Garissa, jeudi saint à l’aube, a donné aux fêtes de Pâques un goût de cendres. 148 personnes assassinées, dont 142 étudiantes et étudiants, et plusieurs dizaines de blessés. Evidemment, le Kenya est assez loin, et l’on ne connaissait probablement pas même le nom de cette ville d’un peu plus de 100'000 habitants, où une université avait été fondée il y a quatre ans. Ce n’est pas comme quand les terroristes sévissent à Paris.
Mais écoutons au moins Mutua, étudiant de 23 ans: «Il est 5h30. J’entends des tirs, puis ils s’arrêtent. Je continue de lire. Puis quelqu’un fait irruption dans la bibliothèque. Son visage n’est pas couvert. Je le dévisage. Je vois le pistolet. Je le regarde à nouveau, nos regards se croisent. Puis il tire. Un ami reçoit une balle dans la tête. Son cerveau explose, il tombe sur moi. Ma jambe est coincée. Il tire encore. Je prends une balle dans le talon. Il tire encore, partout. Je suis resté paralysé jusqu’à ce que la police arrive. Il était 11 heures. Les premières victimes ont été les étudiants de l’union chrétienne. 22 priaient dans le hall: ils ont tous été tués » (d’après la presse kenyane, reprise par Libération, 5 avril).
Il n’y a pas d’assassinat qui ne soit odieux, c’est entendu. Mais celui de Garissa, où l’appartenance à un groupe religieux était le critère premier des tueurs (les musulmans, du moins ceux capables de réciter une sourate, semblent avoir eu la vie sauve, les chrétiens ont été délibérément abattus), repousse les bornes du sordide. Exactement comme le drame du magasin kasher de Paris, en janvier, où des juifs ont été abattus parce qu’ils étaient juifs, ce sont ici des chrétiens qui ont été massacrés parce qu’ils étaient chrétiens.
Tués à cause de leur religionBien sûr, il faudra analyser toutes les données, faire la part des manœuvres sans doute maladroites du gouvernement kenyan face à la crise somalienne, critiquer les défaillances de la police, replacer ce massacre dans son contexte politique, économique et social. Mais il demeure au moins deux éléments difficilement contestables. Premièrement, à Garissa, comme en Irak, comme au Nigéria, comme en tant d’autres lieux, ce sont des chrétiens qui ont été tués parce qu’ils étaient chrétiens.
Deuxièmement, le christianisme mondial (l’expression ne veut peut-être pas dire grand-chose, mais on la retiendra en première approximation) ne semble – une fois de plus – pas capable d’exprimer son émotion comme la situation l’exigerait. Certes, le Conseil œcuménique des Eglises a publié un communiqué pour dénoncer les abominations de Garissa (mais qui a entendu parler de ce communiqué?); certes, le pape François a trouvé une fois de plus les mots justes pour s’indigner dans son message de Pâques de ce que les chrétiens, s’ils ne sont pas les seules victimes, sont de plus en plus souvent les victimes les plus fréquentes des assassinats pour raisons religieuses. Mais ensuite?
Faible réaction des chrétiensLes communautés chrétiennes des premiers siècles savaient garder la mémoire des martyrs morts pour la foi, même si les récits avaient tendance à multiplier le nombre des victimes parfois dans des proportions fantastiques. Les réformés du 16e siècle lisaient souvent, à côté de la Bible d’Olivétan et des Psaumes de Marot, le Livre des martyrs de Jean Crespin, qui connut de nombreuses éditions à Genève. Mais aujourd’hui? Combien faudra-t-il encore de sœurs et de frères abattus, égorgés ou parfois même crucifiés pour que l’ensemble des chrétiens du monde osent clamer d’une même voix leur indignation et manifester leur solidarité sans craindre de se faire taxer de vieux chnoques adeptes d’un prosélytisme dépassé ou d’un colonialisme attardé? Selon l’ONG évangélique Portes ouvertes, 4'344 chrétiennes et chrétiens ont été tués l’an dernier parce qu’ils étaient chrétiens. On n’ose pas demander combien il en faudra en 2015.