Les droits des homosexuels kenyans progressent malgré la rogne des Eglises

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Les droits des homosexuels kenyans progressent malgré la rogne des Eglises

11 mai 2015
La Haute Cour du Kenya a statué: les militants des droits des homosexuels peuvent officiellement enregistrer leurs associations ainsi que leurs organisations de protection. Si cette décision a été saluée par une partie du clergé, elle a suscité la colère de dirigeants religieux et de groupes chrétiens anti-homosexuels du Kenya.

Photo: Une récente manifestation en faveur des droits LGBT à Nairobi. ©RNS/Fredrick Nzwili

Par Frederick Nzwili, Nairobi, Kenya, RNS/Protestinter

Trois juges ont rendu une décision historique en réponse à une pétition datant de 2013 qui avait été lancée par la Commission nationale des droits humains des lesbiennes et gays (NGLHRC), le vendredi 24 avril. Depuis 2012, cette organisation avait tenté sans succès à cinq reprises de s’enregistrer au bénéfice de la loi des organisations non gouvernementales du pays, mais sa demande avait été rejetée, au motif que le Code pénal du Kenya criminalise l’homosexualité.

Cette fois, les choses se sont passées différemment, avec cette décision qu’a prise le tribunal. Les juges ont considéré en effet que le refus d’enregistrer l’organisation était une violation des droits constitutionnels d’association des personnes homosexuelles. Ils ont ainsi déclaré que la question de l’enregistrement ne portait pas sur les vues morales et religieuses des Kenyans, puisque la Constitution ne fixe pas de limite aux droits de l’homme. «Toute personne a droit à la liberté d’association, qui comprend le droit de créer, d’adhérer ou de participer aux activités d’une association de toute sorte», a estimé la Haute Cour, citant l’article 36 de la Constitution du Kenya.

Les lois kenyanes interdisent encore l’homosexualité, et de nombreux membres du clergé prêchent régulièrement contre elle, prétendant qu’il s’agit d’un péché devant Dieu. Mais la décision de justice signifie que les homosexuels kenyans bénéficieront désormais d’une plate-forme officielle à partir de laquelle ils pourront se battre pour leurs droits et leur liberté.

La décision a suscité un grand espoir du côté des associations de défense

«Nous en avons pleuré!», a déclaré le révérend Michael Kimindu, un ancien prêtre anglican qui est maintenant président de «Other Sheep-Africa», une organisation de défense des droits des homosexuels. «C’est le début de la marche vers la liberté. Nous allons maintenant commencer à poser enfin les questions suivantes: que se passe-t-il quand deux personnes homosexuelles veulent avoir un bébé, ou veulent aller à l’Eglise pour se marier?»

Le pasteur John Makokha, qui dirige l’Eglise Riruta Hope Community à Nairobi, a salué ce développement comme une accélération de l’ouverture en faveur des droits des homosexuels. Il a cependant déclaré qu’il craignait que la décision ne se heurte à une forte résistance de la part du clergé et de certains membres de la communauté religieuse. «Je vois des groupes religieux qui vont remettre cela en question de tout leur poids à grands coups de doctrine», a déploré John Makokha qui rajoute: «nous devons veiller à ce que le droit d’association puisse réellement être pratiqué sur le terrain, et ne reste pas une garantie de papier dans la Constitution».

Le président de la NGLHRC, Eric Gitari voit dans la décision de la Haute Cour un élan historique vers l’inclusion des minorités sexuelles et les minorités de genre dans la démocratie kenyane. «Cette décision dit quelque chose d’un pays qui tient à devenir beaucoup plus ouvert et démocratique qu’il ne l’est, en dépit des difficultés. En favorisant la moralité constitutionnelle de l’inclusion, au détriment de la morale religieuse, les juges ont honoré l’esprit et l’aspiration des Kenyans» at-il déclaré.

Outre certains mouvements militants, ce sont les anglicans et les baptistes qui résistent le plus

Comme il fallait s’y attendre, le jugement a attiré la colère de politiciens, des groupes anti-homosexuels et de certains membres du clergé, qui appellent à une abrogation immédiate de la décision.

Le Forum des professionnels chrétiens du Kenya (KCPF) a déclaré mercredi qu’il fera appel de la décision, car elle allait à l’encontre des valeurs fondamentales et des normes morales de la plupart des Kenyans. «Nous ne sommes pas satisfaits de ce jugement. Il porte en lui des omissions fondamentales et des injustices. Voilà pourquoi nous faisons appel», a déclaré Charles Kanjama, qui est avocat qui et vice-président KCPF. «Le Kenya est un pays multiculturel et la plupart des gens y sont opposés à toute tentative de légitimer ou légaliser les comportements homosexuels», a-t-il ajouté.

L’archevêque anglican Eliud Wabukala, a lui aussi été troublé par la décision. Il a déclaré que la société kenyane était organisée autour des «groupes familiaux», et non des groupes de défense des droits des homosexuels. «Le jugement a été rendu sur des considérations très étroites et il ne va pas seulement à l’encontre du christianisme, mais aussi à l’encontre des enseignements et des traditions des musulmans», a déclaré l’archevêque qui est à la tête des 4,5 millions de chrétiens anglicans du Kenya.

En 2010, lors de l’élaboration de la nouvelle Constitution, certains dirigeants d’églises s’étaient déjà inquiétés au sujet de ce genre d’évolutions, a déclaré de son côté le pasteur Wellington Mutiso, qui est à la tête des églises baptistes du Kenya. «Je suis déçu de la décision, mais heureux de la mise en garde que nous avions faite dans le temps à ce sujet. Ces droits sont maintenant inscrits dans la Constitution et nous ne pouvons pas faire grand-chose à ce sujet, à moins d’une nouvelle modification de la Constitution. Voilà une affaire très coûteuse. Donc je pense que nous pourrions avoir à vivre avec elle.»