La leçon du marronnier

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La leçon du marronnier

28 août 2015
Protestinfo propose régulièrement des éditos rédigés par des membres des rédactions de Médias-pro.

Vocation tardive, Elisabeth Schenker est la dernière pasteure formée par l’Eglise protestante de Genève, puisque désormais tous les ministres romands suivent une formation professionnelle unique dispensée par l’Office protestant de la formation. Le cursus genevois prévoyait une année de «décentrement» ce qui a amené Elisabeth à travailler une année comme journaliste stagiaire à Protestinfo. Aujourd’hui retournée en paroisse, elle nous livre un retour sur cette expérience.

Code déontologique exigeant, vocabulaire spécifique, règles d’énonciation strictes et style extrêmement codifié… on pourrait presque se croire dans l’un de ces milieux dits «d’Eglises». Pas du tout. Ce monde un peu étrange pour qui ne le connait que de l’extérieur, toujours en mouvement, sur la brèche, à l’écoute et à l’affut du monde, est une agence de presse: Protestinfo est même la seule agence de presse protestante de Suisse romande. Et si elle est bien financée principalement par les Eglises protestantes de romandie, elle n’en est pas moins indépendante, et régie par les mêmes règles strictes que le reste du monde journalistique. Un monde que la «vérité» n’effraie pas.

Le monde de l’information montre en effet bien moins de réserve vis-à-vis du mot que ne le fait celui de la spéculation tant philosophique que théologique. Pour preuve, le premier des dix devoirs énoncés par la charte de Munich, signée en 1971, qui régit l’ensemble des règles déontologiques de la profession au niveau européen, met en avant le devoir du journaliste de respecter la vérité, et ce «quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce en raison du droit que le public a de connaître la vérité». Le tout en «s’obligeant à respecter la vie privée des personnes», mais sans pourtant renoncer à la «liberté du commentaire et de la critique».

La vérité n’est donc pas morte en ce qui concerne l’information, laquelle doit venir d’une source identifiée, fiable, et concerner des faits avérés. Pas de rumeurs donc, pas d’interprétation des faits, pas d’omission ni de travestissement. Toute information inexacte doit faire l’objet d’une rectification… Et à tout cela, les journalistes de nos Eglises s’y tiennent, sans jamais pourtant prétendre montrer l’exemple à qui que ce soit.

La fidélité du marronnier

Il est une autre donnée de l’air du temps qu’ils prennent à contre-courant, nos journalistes de talent, et pour le plus grand bien leur tâche: c’est la tentation de l’innovation. En langage journalistique, un marronnier désigne le traitement cyclique d’une information qui revient régulièrement. Chaque année, la rentrée des classes, Noël, Pâques… Comment dire de manière toujours nouvelle ce qui revient année après année?

Le secret est plus dans le renouvellement que dans l’innovation. Nos journalistes, eux, le savent: ils sont au service de l’information et lui sont fidèles. Innover, c’est pourtant le mot à la mode qui vient sur toutes les lèvres quand les résultats attendus ne suivent pas. Y compris dans des milieux religieux, en particulier chrétiens, où il semble pourtant que le résultat ne devrait jamais (question de cohérence interne) être ni la mesure ni la règle.

La leçon du marronnier, ce devoir de fidélité, Bruno Latour le rappelle* ainsi au monde religieux, avec une lucidité un peu crue: «si en matière de science naturelle ou sociale, le chercheur a le devoir d’ajouter sa pierre au vaste édifice du savoir, de découvrir, d’innover, de produire de l’information nouvelle, en matière de religion, son devoir est de fidélité: il ne doit pas inventer, mais renouveler; il ne doit pas découvrir, mais recouvrer; il ne doit pas innover, mais reprendre à nouveaux frais la sempiternelle ritournelle»

*dans «Jubiler, ou les tourments de la parole religieuse», Editions les empêcheurs de penser en rond/La Découverte, Paris, 2013.