La galette des Gueux
Responsable de Protestinfo, Joël Burri se réjouit de déguster une tranche de pithiviers à l’occasion de la fête des Rois.
Photo: CC(by-sa) Steph Gray
Devenir roi pour un jour! Rien de très grisant à manger une galette des Rois en 2016: dans notre société individualiste où les moyens ne manquent pas vraiment, nous sommes tous roitelets tout au long de l’année. Alors mis à part une couronne en carton, les milliers de fèves qui seront découvertes aujourd’hui n’apporteront pas grand-chose aux chanceux qui les dénicheront dans un repli de pâte feuilletée ou de pain au sucre.
Il y a quelques mois, la théologienne Muriel Schmid disait dans une interview que la Bible était un texte écrit par des migrants pour des migrants et que, de fait, elle ne s’adressait pas directement à nous. Il faut croire qu’il en va de nos traditions comme de nos textes fondateurs. Porteurs de sens, ils ont traversé les âges, mais sommes-nous prêts à nous souvenir que nous n’en sommes pas les destinataires et que leur redonner leur force originelle nécessite un effort?
Des rois érudits qui viennent saluer la naissance d’un bébé né dans la mangeoire de bêtes de somme, voilà l’inversion de valeurs qui est célébrée lors de l’épiphanie. Quand on y réfléchit, on se demande même si cette histoire n’a pas été écrite par un pamphlétaire anarchiste qui aurait voulu railler la notion de pouvoir.
Dans une société de roitelets, la vraie subversion serait peut-être de faire une galette des Bénéficiaires de l’aide sociale. Celui qui trouve la fève devrait alors se soumettre à de multiples contrôles et chicaneries administratives humiliantes pour s’assurer qu’il ne perçoive pas un seul franc de trop.
On pourrait aussi imaginer une galette des Migrants économiques. On l’obligerait à se déraciner pour espérer nourrir sa famille, mais après un long périple on le traiterait de tricheur et de faux réfugié.
Une galette des Employés non qualifiés, peut-être… celui qui trouve la fève se verrait obligé d’effectuer des tâches ingrates, entrecoupées de quelques pauses strictement chronométrées et tout cela, la plupart du temps au noir, donc sans bénéficier d’assurances sociales.
Reconnaissons-le, une galette des Gueux ferait certainement moins envie qu’une galette des Rois dans la devanture d’une boulangerie. Alors, pourquoi ne pas simplement se souvenir que la tradition des rois a été piquée aux saturnales des Romains. Pendant sept jours l’ordre établi était remis en cause par une société qui se parodiait elle-même.
Une société individualiste et consumériste qui devrait se remettre en cause? En fait, le message de la galette des Rois est plus subversif qu’il n’y paraît.