Funérailles: jusqu’où vont les Romands?
«Il n’y a rien à faire: la mort appelle la tradition», pose le pasteur Yves Bourquin. Pour le président de l’Eglise réformée neuchâteloise (EREN), les Romands, en matière de funérailles, seraient encore attachés à des formes traditionnelles qui empruntent beaucoup au religieux, qu’ils soient croyants ou non. «C’est en train de changer, mais l’église ou le temple sont encore des lieux privilégiés pour célébrer un enterrement», note-t-il. Un son de cloche confirmé par Marc-Antoine Berthod, anthropologue à la Haute école de travail social et de la santé à Lausanne: «Ces endroits sont inscrits dans l’imaginaire collectif comme étant ceux où ont lieu les grands rites de la vie.» Soulevant également qu’il existe «encore peu de lieux alternatifs», Marc-Antoine Berthod relève que les lieux de culte répondent aussi à «des modalités pratiques de solennité: un enterrement n’aurait pas vraiment sa place dans une maison de quartier.»
Active dans tous les cantons romands, l’Association des célébrants et officiants romands (ACOR) a l’habitude d’être appelée à servir dans des lieux appartenant aux Eglises réformées. «Il arrive encore que des familles, pour diverses raisons, souhaitent organiser des funérailles laïques dans un lieu de culte. L’Eglise catholique, pour sa part, ne l’autorise pas», renseigne Léa Candaux, présidente de l’ACOR. Pour Fabrice Carrel, co-fondateur de Everlife.ch, une plateforme en ligne de prévoyance mortuaire, il est important de rappeler que «selon les statistiques de l’Office fédéral de la statistique (OFS), une majorité de Suisses se déclarent désormais sans religion. Il me semble donc crucial que les services funéraires évoluent pour mieux s’adapter aux différentes convictions». Selon lui, «le fait que l’intervention d’un officiant laïc soit payante et non remboursée par l’Etat, contrairement aux funérailles religieuses dans plusieurs cantons romands, mérite d’être questionné».
Il serait donc temps que davantage de formules et d’infrastructures soient adaptées aux réalités de la population.» Pour cet entrepreneur, «il n’est actuellement pas normal que l’intervention d’un officiant laïc soit payante et non remboursée par l’Etat, alors que des funérailles à l’église sont gratuites».
Le laïc imite le religieux
La situation est encore un peu différente en Valais. Selon Laetitia Herin, à la tête d’une entreprise de pompes funèbres dans le Val de Bagnes (VS), ce canton catholique reste «attaché aux célébrations religieuses en matière d’obsèques». Elle observe que «les cérémonies laïques ne représentent que 15% d’entre elles». Laetitia Herin, à qui il arrive parfois d’officier lors d’enterrements non-religieux, n’identifie cependant pas d’opposition claire entre le religieux et le laïc. «Il subsiste des parallèles évidents entre les deux. La manière dont sont agencés les interludes musicaux, les prises de parole et le rendu des honneurs font encore beaucoup penser à ce qui se fait en église.» Un point de vue qu’une autre directrice de pompes funèbres, la genevoise Géraldine Juge de Other Ways, valide complètement: «Vous pouvez enlever le caractère religieux et le message biblique, mais on ne se départit pas si facilement de notre culture judéo-chrétienne. Celle-ci affleure encore dans les cérémonies laïques, dont les temps de recueillement empruntent ostensiblement au spirituel.»
De son côté, le Frère Jean-Guy Pannatier, célébrant catholique actif à Fribourg, remarque désormais que, pour les enterrements à l’église, une majorité de personnes souhaitent «qu’on insuffle un peu moins de religieux dans le religieux». Il en veut pour preuve que bien souvent, «plus sobre qu’une messe, seule la liturgie de la parole est choisie, car elle ne comprend pas tous les rites religieux catholiques classiques, souvent méconnus du grand public». Une réalité qui le pousse à se montrer ouvert à certaines demandes. «Cela peut comprendre, en plus de quelques extraits de la Bible, la lecture d’un textes profane, la projection de photos ou la diffusion d’une chanson de Johnny Hallyday – même si les Romands ont rarement des désirs extravagants». Géraldine Juge approuve: «On n’est pas sur la grosse folie, en Suisse romande. En me lançant dans le funéraire, j’ai cru que de nouvelles pratiques apparaîtraient, comme les lâchers de ballons, assez prisés aux Etats-Unis. Mais on n’y est pas encore.»
Toutefois, quelles sont les limites de l’admissible en matière de funérailles? «Les cérémonies doivent refléter le défunt avec authenticité. Dans ce sens, les funérailles peuvent revêtir un caractère original, mais toujours dans le respect de l’assemblée et du lieu», explique Léa Candaux. «Pour Laetitia Herin, toute cérémonie est célébrée «dans le respect du défunt et forcément la dignité». A l’Eglise réformée neuchâteloise, Yves Bourquin admet n’avoir «jamais enregistré de demande qu’il aurait fallu refuser, à cause de son caractère amoral ou dégradant».
Se laisser guider
Selon le pasteur, la préparation de funérailles est d’ailleurs un moment où il faut «aider les personnes à faire des choix, car les familles sont indécises». Un état de fait qui pousse Yves Bourquin à réaffirmer la qualité du service rendu à la population par son Eglise dans ces moments difficiles: «Nous demandons aux personnes de faire confiance à notre professionnalisme, à se décharger le plus possible de cette responsabilité… Mais ce n’est pas toujours facile.» Et Géraldine Juge d’abonder: «Mes clients demandent souvent une cérémonie très sobre. Or, je me rends compte que la simplicité peut être complexe à définir...»
De fait, si la simplicité est un souhait clair de nos jours, c’est «parce que le faste funéraire ne se prête plus aux cérémonies d’aujourd’hui, notamment parce que l’assistance est de moins en moins nombreuse», avance Laetitia Herrin. Selon cette dernière, «il y a encore vingt ans, tout le Val-de-Bagnes était présent à un enterrement. Même un lien très lointain avec le défunt suffisait à faire se déplacer les gens. Aujourd’hui on a souvent uniquement la famille proche», remarque-t-elle. Un constat confirmé par le Frère Jean-Guy Pannatier, selon qui le Covid aurait également changé la donne: «Beaucoup de personnes ont été obligées de vivre des funérailles dans la plus stricte intimité, et ont désormais adopté la forme plus ramassée et dépouillée voulues par les restrictions.» Et Marc-Antoine Berthod d’attester: «Les funérailles limitées à un petit nombre de proches ont parfois été difficilement vécues durant la pandémie, ce qui a pu renforcer la tendance à ne réunir désormais que les personnes dont les liens d’affection étaient les plus forts avec le défunt.»
«Si on veut quelque chose, il faut le demander»
«Il est dommage que peu de conseillers funéraires proposent aux endeuillés de partir d’une page blanche», formule la Parisienne Sarah Dumont. Autrice du livre Un enterrement comme je veux! (Ed. Eyrolles, 192 p.), elle est aussi créatrice du site HappyEnd.life qui conseille notamment les particuliers pour la réalisation d’obsèques personnalisées. «Les rendez-vous en pompes funèbres avec les familles sont souvent axés sur l’administratif, les horaires du funérarium ou de l’église… Mais finalement, trop peu de temps est réservé à la cérémonie et à l’organisation de l’hommage, qui constituent le souvenir principal qu’on gardera de l’adieu.» Aux yeux de Sarah Dumont, les endeuillés doivent «prendre le lead. Jusqu’à imposer qu’un enterrement puisse être une fête si c’est leur volonté». Mais parvient-on vraiment à prendre ce genre de libertés sans que le défunt ne l’ait explicitement demandé de son vivant? «C’est encore rare, mais cela se développe. J’ai récemment rencontré des parents qui avaient organisé les funérailles de leur enfant en faisant intervenir des comédiens habillés en personnages de Star Wars, tandis que le crématorium était décoré selon l’univers des Pokémon». Une expérience qui permet à Sarah Dumont de marteler: «Tout est possible! Si on veut quelque chose de précis, il faut oser le demander.»