Temps reçu, temps donné
Olivier Schopfer, pasteur à la paroisse française réformée de Berne, partage la prédication qu’il a dite lors du premier dimanche de l’année.
Photo:CC(by-sa) Alexander Boden
Chers Amis,
En ce début d’année, j’aimerais vous proposer une réflexion à la fois légère et insaisissable, puisqu’elle porte sur le temps qui passe…
Or donc, une année de plus… avec tous les bons vœux, les confettis et les résolutions: allons voir si on les tiendra mieux que l’an précédent!
Le temps… une donnée à la fois si simple et en même temps le reflet de notre inquiétude la plus profonde: il est d’une certaine manière la mesure du sens et du non-sens de nos existences. On prend du temps… on en gagne… et surtout: on en perd! Je dis surtout, parce que je crois que c’est l’angoisse majeure de l’homme occidental: perdre du temps! Ne pas être efficace, ne pas être productif, ne pas être utile. C’est là une caractéristique de notre culture, que nous ne partageons pas avec d’autres traditions qui sont moins critiques vis-à-vis d’une certaine nonchalance.
Si la relation au temps change d’une culture à l’autre, une chose reste constante: la conscience que notre temps individuel est limité. La vie a un commencement. Elle a aussi une fin. C’est pour cela que la question du temps est littéralement une question de vie ou de mort.
Cela explique peut-être aussi les efforts constants des sociétés pour gagner une certaine maîtrise du temps, ne serait-ce qu’en le mesurant, en l’organisant et en le structurant.
Le temps, un enjeu de pouvoirC’est aussi une affaire de pouvoir. La structuration du temps en jours de travail et jours de repos, sans oublier les jours réservés pour les fêtes et les solennités: c’est une affaire politique, même si elle a souvent aussi une dimension religieuse.
On peut sourire des disputes historiques au sujet du calendrier, entre le système julien et le système grégorien. Il reste que ces disputes avaient des enjeux politiques et économiques importants, tout comme aujourd’hui les discussions sur le dimanche ou sur les heures de travail. On sait que ces discussions sont l’un des points où les intérêts économiques se confrontent avec les intérêts des individus, à commencer par la question de leur bien-être. Mais qu’est-ce que le bien-être? D’avoir des moyens? D’avoir du temps? De se sentir important (peut-être justement par le fait d’être très occupé, de n’avoir jamais de temps!)? Avouons que sur point, nous sommes souvent en pleine contradiction! Et ce d’autant plus qu’avec la modernité, on est entré dans un contrôle très précis du temps. Le temps de travail est aujourd’hui compté à la minute, voire à la seconde près.
Mais cela va plus loin encore. On prend aujourd’hui modèle sur les ordinateurs pour se laisser dicter son propre comportement. L’ordinateur est basé sur un processeur qui exécute des instructions l’une après l’autre. En informatique, un concept de base est celui de l’interruption. Imaginons l’ordinateur en train de faire un calcul, et voici que l’utilisateur clique sur la souris. Cet événement conduit le processeur à suspendre son travail, à s’occuper de cette interruption, puis à reprendre sa tâche précédente exactement là où il l’avait laissée. Un processeur peut faire cela des milliers de fois par seconde. Une interruption peut elle-même être interrompue, quand survient un événement d’un niveau de priorité plus grand. Et ainsi de suite en cascade. L’ordinateur a cette extraordinaire faculté de revenir systématiquement là où il en était, une fois l’interruption traitée.
Fonctionner comme un ordinateurLa tentation est grande d’imaginer que nous pouvons fonctionner de la même façon. Pendant que j’écris ce texte, voici que le téléphone sonne. Je réponds. Tout en parlant au téléphone, je m’aperçois qu’un message est arrivé. Je le lis… et ainsi de suite. Sauf qu’occupé par la lecture du message, je manque une phrase de mon interlocuteur. Je dois le faire répéter. Et quand j’ai reposé mon combiné, je reviens au message que je n’avais pas fini de lire… puis je passe à un autre, et j’ai déjà presque oublié ce que j’étais en train de faire au début. Ah oui, écrire ce texte! Petit à petit, nos cerveaux se programment à essayer d’imiter les ordinateurs, à vivre avec ces constantes interruptions. Nous gagnons la faculté de faire dix choses à la fois. Mais nous perdons celle de vraiment nous concentrer. Nous nous énervons, nous nous fatiguons. C’est une réalité, nous ne sommes pas des machines. Heureusement! Notre intelligence créative ne suit pas une logique de séquence. Elle associe des idées et des émotions d’une manière complètement différente. Ça part dans tous les sens, mais quand les conditions sont remplies, ça marche, les idées arrivent, les mots, les couleurs, les sons, tout prend sens! Nous ne sommes pas des ordinateurs, nous sommes tellement mieux!
Un temps pour toutIl y a un temps pour tout, nous dit l’Ecclésiaste. Et quand il dit un temps, il ne dit pas dix secondes! Il dit un vrai temps!
Un temps pour rire, et un temps pour pleurer.
Chaque temps est différent de celui qui lui est opposé. On ne peut pas être à la fois dans l’un et dans l’autre.
Le temps, on le reçoit. On le reçoit, avec la nature qui lui est propre. Est-ce un temps facile? Est-ce un passage délicat de l’existence? Est-ce le temps d’aimer? Ou pas?
Je reçois les temps de ma vie, mais il m’appartient de les interpréter. Il m’appartient de les vivre pour ce qu’ils sont, dans le cadre du temps qui m’est donné. Même si le sens ultime des choses m’échappe, il m’appartient d’être vrai avec ce que je vis aujourd’hui.
La pensée de l’Ecclésiaste nous aide à nous remettre dans la perspective d’un temps qui nous est donné, plutôt qu’un temps dont nous pourrions disposer indifféremment. Chaque temps à une nature particulière. Notre vie n’est pas seulement un capital de secondes (86’400 par jour). Elle est un don toujours renouvelé, et toujours différent.
La foi en Jésus-Christ nous conduit plus loin. Comme le montre l’apôtre Paul, la venue du fils de Dieu dans l’histoire humaine, à un moment précis de cette histoire, cette venue change notre relation avec cette histoire. Elle change notre relation avec le temps. Elle nous libère de sa contingence.
En Jésus-Christ, nous devenons fils de Dieu. Fils adoptif, certes, mais fils!
Dieu non seulement nous donne les temps, avec ce qu’ils ont de merveilleux et de terrible: il nous rend participants de son temps à lui. Il fait de nouveau ses héritiers: un jour, nous entrerons dans son temps, le temps de son Règne.
Ce que sera ce temps… comment le comprendre?! Contentons-nous de savoir que nous y serons libres de ce qui aujourd’hui encore nous tient captifs!
Et surtout, vivons dès maintenant dans la perspective de cette liberté, à laquelle nous pouvons déjà goûter aujourd’hui. Libérons-nous du temps étouffant, du temps compté, du time is money, du je n’ai pas le temps.
En attendant le temps qui n’aura pas de fin, goûtons les temps de notre vie, recevons les toujours à nouveau!
Amen