Les communautés monastiques, laboratoires d’unité chrétienne
Quel a été le déclencheur de votre démarche?
C’est lié à ma biographie. Ayant été engagé durant plus de vingt ans dans la communauté monastique de Bose, en Italie, mon regard était peut-être plus qualifié et expérimenté sur le sujet. Et le fait d’en être sorti me permettait à la fois une certaine prise de distance et une vision plus critique.
Vous avez analysé les pratiques et les discours de trois communautés. Lesquelles, pourquoi et sur quelle durée?
Il s’agit de trois communautés œcuméniques composées de membres provenant d’Eglises différentes: Taizé (France), la Jesus-Bruderschaft de Gnadenthal (Allemagne) et Bose (Italie). Inscrites dans des contextes ecclésiaux et nationaux différents, toutes trois comportent des dimensions comparables: quelques dizaines de membres et une implantation sur un lieu donné. Chacune produit aussi des écrits et des discours sur son expérience œcuménique. Mon analyse démarre au moment de leur fondation – des années 1940 à 1960 – jusqu’à aujourd’hui.
Votre recherche vous amène à définir cet œcuménisme comme «spirituel et narratif». C’est-à-dire ?
Quand le mouvement œcuménique est né au niveau mondial, son objectif était d’élaborer une doctrine commune. Cet élan s’est estompé. Mais ces communautés œcuméniques se situent à un autre niveau: leurs membres vivent l’échange spirituel entre chrétiens de différentes confessions, en partageant en particulier leur prière commune. Ce qui m’est apparu au cours de ma recherche, c’est que ces communautés sont un récit d’unité vécue. Leurs membres ne font pas que réfléchir abstraitement à une unité à venir, mais la vivent déjà. Cela constitue une narration en actes, que d’autres croyants peuvent se sentir appelés à poursuivre.
Ces communautés sont-elles effectivement des «laboratoires d’unité» pour le reste des Eglises?
Oui, ce sont des laboratoires d’œcuménisme, où les limitations théologiques ou institutionnelles sont dépassées. Ces communautés déplacent les normes ecclésiales. Un exemple: en principe, au cours d’une messe de tradition romaine, c’est dans des cas exceptionnels que les non-catholiques peuvent recevoir la communion. Or ces communautés célèbrent régulièrement, et protestants et orthodoxes y communient. Ces lieux d’expérience peuvent donc constituer une inspiration pour l’œcuménisme actuel, qui cherche à être plus pratique et moins théologique, comme le montrent par exemple les orientations du Forum chrétien mondial, où la recherche d’unité passe par le partage des expériences de chacun.
C’est donc l’expérience vécue qui nourrit la théologie?
Les deux s’alimentent mutuellement. Car la vie spirituelle vécue dans ces communautés, et en général dans le christianisme, ne descend pas du ciel. Elle s’appuie toujours sur une tradition d’Eglise, une compréhension des textes, et ces traditions sont métabolisées pour porter un sens nouveau.
Quelles limites y a-t-il à cet œcuménisme?
Etant donné que ces communautés s’accordent théologiquement sur un essentiel commun, les limitations se posent davantage sur le plan institutionnel et juridique. Cette forme d’œcuménisme court le risque qu’une Eglise – dotée d’institutions plus fortes que les autres – s’approprie l’expérience d’une communauté, la prenne en tutelle. Ce qui peut constituer un support, une ressource, mais aussi un handicap, une limitation qui, à terme, freine l’élan œcuménique de la communauté concernée.
Info
Doctorat en théologie pratique (juillet 2024), Faculté de théologie protestante, Université de Genève.
Domaine de recherche
«Communautés monastiques interconfessionnelles, lieux d’expériences ecclésiales pour un ‹oecuménisme spirituel› narratif» (Taizé, Gnadenthal, Bose).