Conversion personnelle: un enjeu familial?

Au sein d'une famille, que celle-ci soit athée ou croyante, la conversion d'un de ses membres à une nouvelle religion passe rarement inaperçue et peut être la cause de certaines tensions, ou tout du moins nécessiter un temps d'adaptation. / IStock
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Au sein d'une famille, que celle-ci soit athée ou croyante, la conversion d'un de ses membres à une nouvelle religion passe rarement inaperçue et peut être la cause de certaines tensions, ou tout du moins nécessiter un temps d'adaptation.
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Conversion personnelle: un enjeu familial?

CONVERSATIONS AVEC LA CONVERSION (2/3) Au sein d'une famille, que celle-ci soit athée ou croyante, la conversion d'un de ses membres à une nouvelle religion passe rarement inaperçue et peut être la cause de certaines tensions, ou tout du moins nécessiter un temps d'adaptation. Explications.

«Pendant six ans, je n’ai pu voir aucun membre de ma famille. Pour mon père, j’étais la honte de la famille», confie Malika. Issue d’un foyer musulman «conservateur», cette jeune Burkinabé, établie aujourd’hui en Suisse, n’a que 13 ans lorsqu’elle se convertit au christianisme. Alors en pensionnat à l’étranger, elle décide de l’annoncer immédiatement à ses parents en leur écrivant une lettre. «Je ne voulais pas vivre cela en cachette. J’étais tellement contente d’avoir trouvé ce Dieu que je recherchais!» explique-t-elle. Et de préciser: «Bien que nous faisions nos cinq prières par jour, mon cœur restait vide. Je ne réussissais à avoir une relation personnelle avec le Dieu de l’islam qui demeurait lointain. Là, tout avait changé.»

Aussi personnelle soit-elle, la conversion de Malika à la foi chrétienne fut ressentie comme un séisme au sein de sa famille, une haute trahison. Un phénomène systémique que connaissent bien les spécialistes de la psychologie humaine et des religions.

 «L’appartenance religieuse se rapporte à la mémoire et à la tradition de la famille. Se convertir implique donc de rompre cette chaîne de mémoire qui faisait aussi l’identité de la famille», explique Isabelle Jonveaux, sociologue des religions à la tête de l’antenne romande de l’Institut suisse de sociologie pastorale (SPI) basée à Lausanne. Et d’ajouter: «Même si la transmission religieuse s’est beaucoup affaiblie ces dernières décennies, c’est toujours majoritairement des parents, ou des grands-parents, que l’on reçoit sa religion si on en a une.» 

Une infidélité

«La (re)conversion religieuse d’un membre d’une famille a nécessairement des répercussions systémiques, le système familial reformant sa dynamique interne autour de ce changement, qui peut être estimé comme majeur dans certaines circonstances», expose à son tour Grégory Dessart, docteur en philosophie, psychologue FSP et président de l’Association suisse de psychologie de la religion (ASPsyRel). Un tel changement peut alors potentiellement renvoyer dos à dos «des considérations de valeurs et des visions du monde» différentes.

La conversion religieuse est, en outre, rarement purement intellectuelle, mais s’ancre concrètement dans la réalité de différentes manières. Ainsi, observe encore Grégory Dessart, «les aspects sociaux (groupe associé à une nouvelle confession) et les pratiques religieuses peuvent également être perçus comme signes de désengagement d’avec la famille et un certain héritage culturel, voire d’infidélité.»

«Un simple hobby»

Il n’y a cependant pas de fatalité à ce qu’un changement de religion vienne générer des tensions au sein du biotope familial. Ainsi en atteste le témoignage de Sarah, chrétienne orthodoxe convertie au judaïsme. «J’ai grandi en Ukraine dans une famille pratiquante, qui observait avec sérieux toutes les prescriptions de la foi orthodoxe. J’ai d’ailleurs toujours cru en Dieu, créateur de l’univers», exprime-t-elle.

Sa conversion au judaïsme est le fruit d’un long cheminement, débuté à l’âge de 25 ans, lorsqu’une amie juive l’invite à partager le repas de Shabbat chez elle. «J’ai commencé alors à étudier plus en amont le judaïsme, notamment au travers de nombreuses lectures», raconte-t-elle. «Mes parents ne se sont jamais inquiétés de cela. Pour eux, cela répondait à une simple curiosité intellectuelle: il s’agissait d’un pur hobby.»

Sarah mettra, selon ses mots, «treize années pour passer du simple divertissement à une véritable croyance». Pendant cette période, elle rencontre son futur époux. «Même s’il était juif, mon mari n’était pas du tout pratiquant. C’est avec moi qu’il l’est devenu, ce qui a beaucoup amusé ma belle-maman», sourit-elle.

Quant à la famille de Sarah? «Ils se sont petit à petit rendu compte de la profondeur de mes convictions et il n’y a jamais eu aucun accroc sur la question», se réjouit-elle. «Quand ils sont en visite chez nous, mes parents prennent même part au repas du shabbat avec nous.» 

Réaction temporaire

Comment comprendre pareille différence de réaction? «Celle-ci dépend du contexte familial de chaque personne», indique le sociologue Roberto Simona, auteur de «Conversions religieuses et liberté» (Ed. Antipodes, 2022). «L’environnement social est également déterminant. Dans certains pays musulmans, se convertir à l’islam peut représenter une menace sur toute la famille», formule-t-il. «Dans nos pays occidentaux, c’est plutôt l’entourage proche qui met à l’épreuve le converti.»

Quelle incidence la réaction de l’entourage peut-elle avoir sur la foi du nouveau converti? Les avis divergent. Dans son enquête sur la spiritualité des jeunes adultes, Isabelle Jonveaux a pu constater que «pour la plupart des jeunes, l’avis de leurs parents pourrait constituer un obstacle s’ils souhaitaient changer de religion. Leur opinion est importante.» Une fois le processus entamé, il est cependant rare que l’attitude de l’entourage ait un quelconque impact sur ces nouvelles convictions. «Il s’agit en général de quelque chose de tellement profond que le croyant n’est pas prêt à renoncer à ce Dieu qui se dévoile enfin pour ses proches», invoque pour sa part Roberto Simona. Ce dernier insiste d’ailleurs: «Ce qui est important de souligner, c’est que même dans des cas où la famille a pu avoir une réaction très violente à l’endroit de la personne qui s’est convertie à une nouvelle religion, le rejet peut, avec le temps, laisser place à la compréhension mutuelle.»

C’est précisément ce qui s’est passé avec la famille de Malika. Après six années de silence, la jeune femme se décide à écrire une lettre pour demander pardon à ses parents. «J’y affirmais ne pas renier Jésus, mais que j’étais consciente de la peine que ma décision avait pu leur causer», commente-t-elle. En retour, ses parents lui présentent également leurs excuses et l’invitent au plus vite à la maison pour fêter leurs retrouvailles.