«La plupart des Eglises orthodoxes s’intéressent peu au jubilé de la Réforme»

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«La plupart des Eglises orthodoxes s’intéressent peu au jubilé de la Réforme»

12 février 2016
Le jubilé de la Réforme, qui aura lieu en 2017, ne représente presque rien pour la plupart des Eglises orthodoxes: «La Réforme est considérée comme un événement pour les Eglises occidentales, mais qui ne concerne pas les Eglises orthodoxes», explique à l’agence de presse protestante allemande (EPD), Jennifer Wasmuth, historienne des Eglises et experte des Eglises orientales, qui vit à Berlin. Lors du Concile panorthodoxe, qui se tiendra du 16 au 27 juin 2016 en Crête, figureront entre autres à l’ordre du jour les relations des Eglises orientales avec le reste du monde chrétien. Ce concile, qui aura lieu lors de la Pentecôte orthodoxe, est le premier rassemblement de tous les orthodoxes depuis plus d’un millénaire.

Propos recueillis par Stephan Cezanne, Berlin, EPD/protestinter

Il y a un espoir que le Concile panorthodoxe de juin en Crête puisse devenir une sorte de Vatican II pour les Eglises orientales. Il y a environ 50 ans, l’Eglise catholique romaine s’était déjà ouverte au monde moderne. Pensez-vous que cela pourrait se répéter pour l’Eglise orthodoxe?

Au sein de l’Eglise orthodoxe sont représentés des courants très différents, dont certains sont très ouverts à l’égard des évolutions du monde moderne et par conséquent ont intérêt à aborder les traditions orthodoxes sous l’angle du présent. Il y a de nombreux exemples de ces courants dans le domaine académique, et pas seulement dans la diaspora orthodoxe, mais aussi dans les principaux pays orthodoxes comme la Grèce et la Russie. Si les représentants de ces tendances pouvaient faire entendre leur voix au concile, il y aurait de réelles chances que le Concile devienne un Vatican II.

Toutefois, rien ne laisse penser que cela va se passer. Etant donné que le concile de juin ne rassemblera que des évêques, les prêtres et les théologien(ne)s profanes ne pourront y participer. Avant que les déclarations ne soient ratifiées, aucune discussion n’est prévue pour approfondir le débat. Le principe du consensus a été retenu comme mode de scrutin; si l’une des délégations des 14 Eglises autocéphales — et donc autonomes — est en désaccord avec une proposition, celle-ci sera rejetée. Tout est donc très réglementé pour éviter les controverses.

L’un des thèmes prévus pour le Concile panorthodoxe concerne les relations des Eglises orthodoxes avec le reste du monde chrétien. Il y a déjà, depuis longtemps, un rapprochement entre le Vatican et l’Eglise orthodoxe. Les orthodoxes vont-ils davantage s’ouvrir aux Eglises protestantes, qui ont dernièrement fait l’objet de critiques?

Cela est peu probable à l’heure actuelle. En tout cas, il est encourageant à cet égard de voir que le spectre des thèmes abordés se réduit et qu’un sujet aussi délicat que la bénédiction des couples homosexuels a été écarté. Si Le Concile panorthodoxe avait voté en suivant la position de l’Eglise orthodoxe de Russie, qui refuse catégoriquement cette bénédiction, cela aurait sans aucun doute eu des conséquences négatives directes pour les relations entre les Eglises orthodoxes et les Eglises protestantes avec lesquelles elles mènent des discussions officielles.

Quel regard les orthodoxes portent-ils sur le jubilé de la Réforme de 2017?

J’ai l’impression que la plupart des Eglises orthodoxes ne s’intéressent pas particulièrement au jubilé de la Réforme: la Réforme est considérée comme un événement pour les Eglises occidentales, mais qui ne concerne pas les Eglises orthodoxes. En Allemagne, par exemple, l’Eglise protestante d’Allemagne organise régulièrement des réunions intitulées «Tübingen II», en mémoire de la rencontre du Patriarcat de Constantinople avec les théologiens de Tübingen au XVIe siècle; ces rencontres, auxquelles sont associés des orthodoxes, ont pour thème la signification de la Réforme pour les Eglises orthodoxes. De plus, dans le cadre du dialogue entre la Fédération luthérienne mondiale et la communauté panorthodoxe, un événement festif autour du jubilé a été prévu pour cette année. Toutefois, il ne s’agit en définitive que de faits ponctuels, qui ne permettent pas d’identifier un véritable intérêt.

Qu’est-ce que les protestants peuvent apprendre des chrétiens orthodoxes? Quelles sont les forces de l’orthodoxie au regard de la pratique religieuse et de la spiritualité?

C’est une question très large, à laquelle il est difficile de répondre brièvement. En tout cas, ce qui différencie les Eglises orthodoxes des Eglises protestantes, c’est une richesse liturgique qui permet de célébrer le mystère de l’incarnation divine avec un autre degré d’intensité. De plus, conformément aux croyances orthodoxes, la pratique ascétique, obligatoire, rend la mise en œuvre de la foi bien plus ancrée dans la vie quotidienne qu’elle ne l’est généralement selon les rites protestants.

Le monde orthodoxe a récemment été marqué par des confrontations internes, comme le conflit ukrainien. Le Concile panorthodoxe doit créer plus d’unité parmi les orthodoxes. Dans quelle mesure cela est-il réaliste?

On ne peut attendre du Concile panorthodoxe qu’il prenne des décisions de grande portée sur des questions sensibles comme l’uniformisation de l’agenda liturgique. Toutefois, le simple fait que le Concile ait lieu constituera un signal fort vers l’intérieur comme vers l’extérieur: le Patriarcat œcuménique a d’ores et déjà montré clairement qu’il est prêt à faire primer l’unité sur les intérêts particuliers, en prenant des décisions inattendues qui vont en ce sens, comme la reconnaissance officielle de Ratislav Gant, métropolite des territoires tchèques et de la Slovaquie. Même le Patriarcat de Moscou, malgré toutes les critiques, s’en est tenu aux plans du Concile. Lorsque le Concile panorthodoxe se réunira en juin, on verra alors concrètement ce qui semble pourtant discutable à de nombreux égards, compte tenu des conflits interorthodoxes mentionnés précédemment: le fait que les différentes Eglises locales représentent effectivement la même Eglise orthodoxe.