L’école doit-elle instruire «religieusement»?

Alors que le Conseil d’Etat fribourgeois – interpellé par une motion – réfléchit au bien-fondé de conserver l’enseignement confessionnel dans l’horaire hebdomadaire, différents spécialistes s’expriment sur le rôle de ce dernier. / IStock
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Alors que le Conseil d’Etat fribourgeois – interpellé par une motion – réfléchit au bien-fondé de conserver l’enseignement confessionnel dans l’horaire hebdomadaire, différents spécialistes s’expriment sur le rôle de ce dernier.
IStock

L’école doit-elle instruire «religieusement»?

Alors que le Conseil d’Etat fribourgeois – interpellé par une motion – réfléchit au bien-fondé de conserver l’enseignement confessionnel dans l’horaire hebdomadaire, différents spécialistes s’expriment sur le rôle de ce dernier.

Mercredi 1er mai, Sylvie Bonvin-Sansonnens, conseillère d’Etat fribourgeoise en charge de l’Instruction publique, recevra les représentants des Eglises catholique et réformée du canton (EERF). Sur la table, la question de l’enseignement religieux confessionnel dans le cadre de l’école obligatoire. Une réflexion qui fait suite à une motion déposée au Grand Conseil, dans le but de sortir cette heure d’enseignement (à laquelle les élèves peuvent être dispensés par leurs parents) de l’horaire hebdomadaire.

Si le cours d’«Ethique et cultures religieuses» n’est aucunement remis en question, il ne saurait remplacer, aux yeux des spécialistes du champ religieux, les apports propres à un enseignement confessionnel. «Un cours d'éthique ou d'histoire des religions reste au niveau des connaissances intellectuelles», formule Frédérique Seidel, conseillère spéciale pour les droits de l'enfant auprès du Conseil œcuménique des Églises (COE). Il laisserait ainsi de côté «l'invitation à découvrir en soi la voix de Dieu, ainsi que l'énorme soutien qu'apporte ce lien en toutes circonstances.»

Même son de cloche du côté d’Hansjörg Schmid, professeur d'éthique interreligieuse et directeur exécutif du Centre Suisse Islam et Société (CSIS) à l’Université de Fribourg, pour qui il convient de ne pas opposer ces deux enseignements. «Un enseignement confessionnel permet également de réfléchir de manière critique sur ses propres racines et son identité», expose-t-il. «D’un point de vue pédagogique, offrir cette complémentarité me semble une option optimale.»

Redondant ou complémentaire?

De l’avis de Pierre-Yves Brandt, professeur de psychologie de la religion à l’Université de Lausanne, l’école ne saurait d’ailleurs faire l’impasse sur un enseignement neutre sur les religions. «L’école a la responsabilité de donner des outils pour appréhender la diversité des croyances et pratiques religieuses», soutient-il. «Dans nos sociétés plurielles, les enfants et jeunes sont sans cesse confrontés à des représentations qui ne sont pas consensuelles, et ce même parfois au sein de leur famille.»

La coexistence de ces deux enseignements ne serait-il cependant pas un brin redondant? «C’est un autre regard sur une même réalité. Le premier amène un regard socio-historique, soit extérieur, sur les religions. Le second, tel que nous le pratiquons depuis une dizaine d’années, offre un espace de réflexion, de débat et de positionnement personnel», explique Nicole Awais, spécialiste en didactique Privat Docent et chargée de cours  à l’Université de Fribourg et par ailleurs responsable du service formation de l’EERF. «A nos yeux, celui-ci est essentiel pour le développement de l’enfant et des jeunes afin de respecter leur droit à une liberté religieuse en connaissance de cause et leur donner les outils pour lutter contre toutes les formes de fondamentalisme.»

Analphabétisme et liberté

Dans la même optique, Hansjörg Schmid estime également qu’il est «de l’intérêt de la société du lutter contre l’analphabétisme religieux». Et de citer les expériences qui ont été faites en Belgique, en Allemagne et en Autriche pour inclure l’enseignement confessionnel islamique dans les écoles: «Il est relevé que celui-ci permet une sorte de contrôle de qualité sur les enseignements prodigués. Il permet également de faire le lien entre les questions existentiels des enfants et des jeunes avec leur héritage religieux.»

Et que penser des parents qui se refusent à donner une éducation religieuse à leur enfant, estimant protéger ainsi leur liberté religieuse? «Pour pouvoir exercer sa liberté religieuse, il est nécessaire de connaître au mieux les contenus du choix qui est proposé», pointe Frédérique Seidel. «Sinon ce n’est pas un choix, mais du hasard», formule à son tour Nicole Awais.

«Ne pas donner d’éducation religieuse, c’est déjà en donner une», souligne à son tour le psychologue de la religion Pierre-Yves Brandt. Et de préciser que «les jeunes sont de toute manière impactés par toutes sortes de systèmes de croyances. Par les jeux vidéo et les dessins animés, mais également par des représentations du monde complotistes ou discours écologiques sur la mère terre qui se venge. On ne peut pas les laisser se situer seuls par rapport à tout ça.»

A l’école ou à l’église?

L’enseignement confessionnel doit-il pour autant se faire en classe, interrogent les députés de la motion déposée au Grand Conseil. De l’avis de la pédagogue Nicole Awais, une sortie de l’horaire scolaire serait fortement dommageable. «Seuls les enfants et les jeunes dont les parents voudront ou pourront prendre le temps de les accompagner à la catéchèse paroissiale pourront y participer», exprime-t-elle.

De l’avis d’Hansjörg Schmid, «l’école permet d’atteindre un public plus large. Les enfants qui suivent un catéchisme en paroisse ou un enseignement coranique à la mosquée restent très minoritaires». A son avis, le système scolaire a également tout avantage à collaborer avec des spécialistes ou représentants de ces confessions, «qui pourraient intervenir lors de difficultés particulières en lien avec la religion».

De son côté, Pierre-Yves Brandt souligne encore la boîte noire que représente le cours d’éthique et cultures religieuses, regrettant que «les enseignants qui dispensent cet enseignement ne soient pas toujours formés sérieusement dans le domaine». A ses yeux, «à l’heure actuelle, ces cours n’offrent pas suffisamment de garantie de qualité».