À quoi sert une paroisse?
Tous les projets d’innovation ecclésiaux se heurtent à un élément: la paroisse. Soit elle constitue l’entité de base idéale pour construire un projet ultra-local – mais dans ce cas, elle demande un solide investissement de bénévoles. Et on lui reproche alors de ne pas voir au-delà des frontières de son territoire, de ne pas voir «assez grand». Soit elle s’apparente à une coquille vide, uniquement fréquentée que par quelques habitué·es. Dans ce cas, on veut la repenser, la fusionner, la regrouper.
Historiquement, rappelle Sarah Scholl, professeure associée d’histoire à la faculté de théologie de l’Université de Genève, la paroisse «reste l’une de nos plus anciennes manières de fonctionner, de faire société», rappelant que cette entité est antérieure à l’existence des communes, qu’elle a contribué à façonner. En Suisse, les femmes ont pu voter et être élues dans les conseils de paroisse bien avant l’instauration du suffrage universel. La paroisse joue un rôle très important «comme espace de vie géographique de socialisation». Mais c’est aussi un espace de régulation sociale et politique: «Avant l’existence de l’état civil, c’est ici qu’on mesure la population, que l’on conçoit des rites de passage pour les adolescents, ensuite repris au niveau scolaire, qu’on transmet la morale sexuelle et qu’on la surveille», remarque la chercheuse.
Régulation et ressource
Cette fonction, parfois oppressive, perdure pourtant très longtemps. Au point qu’avec l’urbanisation des années 1960, on multiplie la création de nouvelles paroisses «à l’aube d’un moment où le nombre de chrétiens engagés et consommateurs de culte décroît», observe l’historienne. C’est parce que, dans les référentiels partagés, la paroisse au sens d’espace géographique s’est installée comme l’entité de base du christianisme. «Or dans le christianisme antique et médiéval, les traditions architecturales et les témoignages montrent qu’il n’y a pas toujours adéquation entre une paroisse et un territoire!»
À une époque où les parcours de vie sont marqués par l’autonomie individuelle, où la solitude devient une problématique préoccupante, notamment chez les personnes âgées, la paroisse est souvent réinvestie parce qu’elle paraît accessible, proche, propice à effectuer des activités communautaires. Ainsi, Diaconie suisse vient d’éditer une brochure sur les caring communities (communautés locales de soutien, qui peuvent se constituer dans une série de domaines), expliquant que «les Églises et les paroisses sont particulièrement bien placées pour jouer ce rôle incitatif et facilitateur»: dans l’émergence de ces communautés, elles pourraient ainsi en représenter les cellules de base.
Les paroisses peuvent-elles se renouveler, trouver une nouvelle fonction sociale, alors qu’elles ont par le passé été – outre des espaces de ressources – des lieux de surveillance voire d’oppression? «Il faut regarder ce passé, c’est vrai. Mais la famille a aussi été un lieu d’oppression, et pourtant elle reste indispensable! Le christianisme ne peut pas s’étonner de perdre en popularité, s’il n’est pas capable de se confronter à ses pratiques, à ce qu’il a transmis», conclut Sarah Scholl.