«L’Eglise manque d’attractivité pour les hommes»

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«L’Eglise manque d’attractivité pour les hommes»

11 mars 2016
Ministre responsable de la pastorale des hommes dans le Wurtemberg, Markus Herb réclame une meilleure offre d’activités dans les paroisses

Propos recueillis par Marcus Mockler, Stuttgart, EPD/Protestinter

Après huit ans d’exercice, Markus Herb s’apprête à céder à Jürgen Schwarz le poste de pasteur pour les hommes de l’Eglise protestante du Wurtemberg. Markus Herb prendra, début juillet, la fonction d’aumônier militaire à Ulm. Il regrette que l’Eglise ne s’intéresse pas davantage aux hommes. Et il est persuadé que proposer de la bière dans les paroisses ne devrait pas être un tabou.

Dans l’image que l’on se fait de l’Eglise, on voit les hommes dans les postes de direction et les femmes sur les bancs d’église et dans les charges honorifiques. Est-ce là une situation immuable?

Nous parlons aujourd’hui d’une Eglise de femmes, dirigée par les hommes. Malgré une hiérarchie plutôt masculine, il y a du retard à rattraper sur le thème de l’attractivité de l’Eglise pour les hommes. Il suffit de regarder les offres d’activités dans les paroisses et les collectivités religieuses locales. On y voit de nombreux thèmes qui ne touchent tout simplement pas les hommes. Et vu qu’on ne propose pas non plus de bière dans la majorité des manifestations religieuses, celles-ci en deviennent encore moins attractives pour eux.

Ces clichés sont-ils donc encore d’actualité: les femmes veulent des croix et des fleurs, et les hommes de la bière?

La vérité, c’est tout simplement que beaucoup d’hommes aiment boire de la bière et parler football. Il m’est déjà arrivé de mettre de la bière sur la table lors de réunions de parents avant la confirmation — les hommes en restaient vraiment stupéfaits. Ils ne s’attendaient franchement pas à quoi que ce soit de tel.

Ça veut donc dire que si l’on sert plus de bière à l’Eglise, alors les hommes viendront…

… en tout cas, dans le Wurtemberg, nos cultes du soir pour hommes ont beaucoup de succès. Ils se déroulent la plupart du temps au restaurant, on y mange très bien (et on a le droit de commander une bière si on en a envie), et on parle de thèmes qui intéressent les hommes. Le nombre de cultes pour homme dans le land s’est stabilisé à environ 400 — en comptant les groupes qui ne réunissent qu’un petit nombre de participants.

Où dans le Wurtemberg a-t-on donc vraiment réussi au niveau du travail des hommes?

Dans la collectivité de Reutlingen. Le diacre consacre une partie de sa mission spécialement à la question des hommes. Et il s’en occupe très bien, en organisant des pèlerinages pour hommes, du tir à l’arc, des activités père-enfant, des visites d’entreprise. Il établit un réseau parmi les hommes, se fait des listes afin de les inviter de manière ciblée à des manifestations qui les intéresseront. Voilà le modèle à suivre pour stimuler le travail des hommes dans une collectivité! Mais malheureusement, dans d’autres endroits, tout cela n’est pas compris. Réaliser partout un tel travail nécessiterait davantage de ressources.

Alors les hommes viennent faire du tir à l’arc, mais pas assister au culte. Que faudrait-il donc pour les amener devant la chaire?

Difficile à dire. Ce qui ne fonctionne pas, c’est d’organiser des cultes simplement consacrés aux hommes. L’idée selon laquelle se rendre à l’église est un signe de faiblesse est encore bien ancrée dans leurs têtes. Ils ont peur de se voir demander: «Ça t’est vraiment nécessaire?» Faire l’expérience de sa faiblesse est réellement important, mais un homme a besoin de plus de temps pour en arriver là. Il est plus facile de l’aborder sous l’angle de ses compétences. On est plus efficace en disant «J’ai besoin que tu fasses quelque chose pour moi» qu’en laissant entendre «Tu as besoin de moi».

Si les cultes pour hommes ne conviennent pas, alors qu’est-ce qu’il faut privilégier?

Les cultes pour des occasions particulières, la Saint-Valentin par exemple, attirent plutôt les hommes. Certains y sont peut-être entraînés par leurs compagnes, mais ça n’a pas d’importance. Les confirmations et les premiers jours d’école sont également de bonnes occasions. Une autre idée, c’est d’inviter une fois par an les gens qui partent à la retraite. On célèbre alors un culte pour marquer un passage important dans une vie. L’Eglise devrait aussi être impliquée dans les endroits où se trouvent les hommes — bien souvent, ça veut dire les associations sportives, les chorales, les casernes de pompiers. Les cultes dans la nature sont également plus attractifs pour les hommes.

Mais sinon, comment rendre plus attrayants les simples cultes du dimanche?

Selon moi, il faut notamment pour cela que les hommes sur la chaire soient bien reconnaissables en leur qualité d’hommes. Le prédicateur devrait donc de temps à autre laisser voir ce qu’il vit en tant qu’homme, comment il doit faire face à des conflits, en tant que père ou que fils, que célibataire ou que mari. On peut affirmer très sereinement que la même situation peut représenter quelque chose de tout à fait différent pour un homme que pour une femme.

Un spécialiste américain des Eglises a avancé une thèse audacieuse, selon laquelle la présence de plus de femmes sur la chaire et dans des postes de direction va encore aggraver cette situation. «Les hommes appellent les hommes», a-t-il écrit. Voyez-vous aussi les choses de cette manière?

Non, cela ne me convainc pas. L’Eglise n’attirait pas davantage les hommes quand il n’y avait encore aucun pasteur femme. La situation qui se présente à nous aujourd’hui a même pris ses sources il y a plusieurs décennies, alors qu’il n’y avait que des hommes sur la chaire. Les problèmes doivent donc se situer sur un autre plan. Au niveau du travail des jeunes, par contre, je considère qu’il est très important que ce soit à des interlocuteurs du même sexe que les jeunes hommes soient confrontés.

Quelle influence sur votre travail a la théorie du genre, selon laquelle les sexes ne sont pas du tout un élément fixe, mais une construction sociale?

Voici ce que j’ai pu constater: parler du genre, c’est en fait parler des femmes. Je suis un fervent partisan de la théorie selon laquelle les hommes ont besoin de s’émanciper. C’est une question de libération des hommes. Leur rôle traditionnel peut se montrer étouffant. Mais dans la société et l’Eglise, les questions de l’égalité et de l’émancipation ne se rapportent encore qu’à la femme. Tant qu’il en sera ainsi, quasiment rien ne changera pour les hommes. Et pour les femmes non plus, d’ailleurs, il n’y a pas grand-chose qui change.

Votre bilan, à la fin de vos fonctions?

Dans l’ensemble, le sujet des hommes ne reçoit encore que bien trop peu d’attention dans les églises et les paroisses. Ce n’est pas le cas que dans le Wurtemberg, mais dans toute l’Eglise protestante, de manière générale.