Noël, c’est libérer l’enfant qui est en nous
«C’est la fête la plus longue de la tradition chrétienne. Elle nous porte de l’avent à l’Epiphanie», note Olivier Bauer, professeur de théologie pratique à l’Université de Lausanne. Mais il enchaîne: «On y mange mal: trop gras, trop sucré, et l’on s’y couche tard... C’est une période qui nous autorise à lâcher l’enfant qui est en nous: on se met à apprécier le ‹guimauve›, le mièvre. Et de manière générale, c’est une fête qui change l’espace public, on y met de la chaleur, du réconfort.»
Sociologue et collaborateur scientifique au Centre intercantonal d’information sur les croyances, à Genève, Philippe Gilbert note que, si Noël déborde autant sur l’espace public, c’est que ce n’est plus seulement une fête religieuse. «La fête s’est sécularisée». Et ce n’est pas nouveau: dès le début du XXe siècle, on discute de la propension à la sécularisation de Noël. Et, dès les années 1950, on remet en cause cette tendance américaine à l’échange de cadeaux», explique le chercheur. Qui rappelle que, dans un article titré «Le Père Noël supplicié», l’anthropologue et ethnologue Claude Lévi-Strauss revient sur un fait divers qui s’est déroulé en 1951 à Dijon: le Père Noël a été brûlé en présence d’enfants, à l’instigation du clergé qui lui reproche de paganiser la fête de Noël. Revenons sur quelques traditions.
Les chants
«Aux Etats-Unis, il y a cette pratique des chants dans la rue et aux portes des voisins. Cela rapproche la communauté», note Olivier Bauer. «Un souvenir nostalgique me revient de mon enfance à Serrière (NE). Nous chantions des chants de Noël à la sortie de la célébration au temple, et c’est à ce moment-là qu’il s’est mis à neiger. Cela ne s’est peut-être produit qu’une seule fois, mais dans ma mémoire, c’est resté comme l’archétype de Noël: c’est comme ça que ça doit se passer!»
«La seule présence de Noël qui peut revêtir un caractère proprement religieux, ce sont les chants de Noël, par exemple au travers de la présence de l’Armée du Salut», souligne pour sa part Philippe Gilbert. «Si je pense aux autres éléments qui marquent Noël dans l’espace public, les marchés, les décorations... elles n’ont pas de références réelles au christianisme», illustre-t-il.
La crèche
Les protestants n’ont pas vraiment de traditions autour de la crèche. Olivier Bauer se souvient toutefois: «Quand j’enseignais à Montréal, j’ai découvert la collection que l’ordre Saint-Joseph avait accumulée au fil des ans. Il l’exposait à la période de Noël. Ce qui m’a marqué, c’est qu’il y avait quelques crèches dans lesquelles Marie était absente. C’est assez logique en fait puisque, dans la tradition juive, les femmes doivent se retirer après l’accouchement, le temps de se purifier.»
«C’est encore discuté, mais les débats récents, à Neuchâtel en 2015 ou Genève en 2017, montrent que l’on peut accepter une crèche dans les institutions publiques à condition qu’elle ne prenne pas une dimension catéchétique. A contrario, dans les écoles vaudoises, on va préférer le sapin à la crèche. Ces formes d’hésitation donnent à penser que la crèche se sécularise de plus en plus. On en voit ainsi facilement dans les centres commerciaux, mais beaucoup moins dans les édifices publics», constate Philippe Gilbert. Il développe: «Souvent, la limite entre une référence culturelle et une référence cultuelle n’est pas évidente. L’exemple français montre la difficulté. Dans les régions où la crèche provençale fait partie du patrimoine, il est acceptable d’en avoir une dans les mairies, mais en Vendée, par exemple, cela serait perçu comme une atteinte à la laïcité.»
Les films de Noël
«Quand j’étais enfant, nous allions chaque année au cinéma le lendemain de Noël», se remémore Chicca Bergonzi, adjointe de direction de la Cinémathèque suisse à Lausanne. «C’est une période durant laquelle les gens sont davantage disposés à aller au cinéma.» Pas étonnant dès lors que les salles connaissent des pics de fréquentation et que les studios sortent de nombreux films populaires durant cette période. Mais le film de Noël est aussi devenu un genre cinématographique: «Souvent une comédie ou un film romantique, mais cela peut être beaucoup plus large. De nombreux films utilisent Noël comme un ‹décor›: c’est un moment intéressant pour les scénarios puisque c’est celui où l’on se retrouve en famille.» Chaque Noël, la télévision nous propose de revoir Home Alone (Maman, j’ai raté l’avion!) ou Le Père Noël est une ordure. Mais c’est en salle que la Cinémathèque vous propose de revoir cette année ces incontournables, dans le cadre d’une rétrospective «Noël au cinéma». «Voir un film au cinéma, ce n’est pas la même expérience qu’à la télé», insiste Chicca Bergonzi. Qui conclut: «Mieux vaut voir Die Hard au cinéma qu’un téléfilm de Noël à la télé!» (voir www.cinematheque.ch)
Les cadeaux
Les grands magasins, les contes de Charles Dickens, le sapin de Noël (voir l'article Le sapin de Noël a des racines protestantes) sont autant d’éléments qui s’associent tout au long du XIXe siècle. Il s’agit à la fois de différencier, pour transformer la fête religieuse de Noël en une fête des enfants, et de déplacer, pour permettre une distinction entre les étrennes – petits cadeaux réservés au personnel subalterne dans les familles aristocratiques et bourgeoises – et les cadeaux échangés dans l’intimité. Ainsi, «à la fin du XIXe siècle et au tout début du XXe siècle, le mot ‹étrennes› demeure encore largement en usage. Mais celles-ci sont de plus en plus souvent offertes à Noël», relève la sociologue Martyne Perrot dans Le Cadeau de Noël, histoire d’une invention (éditions Autrement, 2013).
Les pulls moches
Si Noël dégouline de tradition doucereuse, «il y aussi des coutumes un peu plus critiques, qui se moquent de cette ambiance. Par exemple, le fait de porter des tricots aux motifs hivernaux, que l’on surnomme ‹pulls moches›. Avec, bien sûr, les concours du plus moche des pulls moches de Noël», rappelle Olivier Bauer.
Les fêtes
«Noël a largement perdu sa sémantique chrétienne, mais cette fête n’a pas perdu son sens anthropologique: elle permet de réaffirmer les relations sociales», prévient Philippe Gilbert. En cela, elle renouerait avec la dimension festive des fêtes du Moyen Age. Une nécessité que l’on retrouve non seulement au sein du cercle familial, mais aussi dans les clubs, les entreprises. D’où la multiplication des «Noëls de...». Mais cette réaffirmation des relations peut être vécue tant comme une chance que comme une contrainte: «Cela pose des questions. Par exemple: comment choisir qui inviter? Quand cela devient-il une obligation? C’est une dépense parfois lourde, et cela ravive l’isolement de certaines personnes», regrette Olivier Bauer.