Etats-unis: Les primaires poussent certains évangéliques à renoncer à ce qualificatif

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Etats-unis: Les primaires poussent certains évangéliques à renoncer à ce qualificatif

8 avril 2016
La campagne présidentielle américaine de cette année amène les chrétiens évangéliques à se repositionner par rapport à leur foi. Le soutien de certains leaders évangéliques à Donald Trump exacerbe des tensions qui existaient déjà avant les primaires républicaines.

Photo: CC(by-nc-nd)Sus Schmitt

Par Emily McFarlan Miller, RNS/Protestinter

Le responsable de la politique publique de la plus grande dénomination protestante des Etats-Unis a fait sensation en déclarant qu’il ne voulait plus être défini par l’appellation «chrétien évangélique». Russell Moore, président de la Commission d’éthique et de liberté religieuse (Ethics and religious liberty commission) de la Convention baptiste du sud, cherche ainsi à se distancier de la foi de certains électeurs républicains ainsi que des télévangélistes qui promettent la richesse en récompense de la croyance en Dieu. «Toute définition qui me lie à un enseignement de l’évangile promettant la santé et la richesse est tellement vague qu’elle n’a pas de sens», a déclaré Russell Moore à l’agence RNS.

Depuis quelque temps, une crise d’identité couvait au sein des évangéliques. Pour Russell Moore, le soutien des dirigeants évangéliques – ou leur silence – pour le candidat républicain Donald Trump a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Pour le blogueurs Micah J. Murray ou pour Rachel Held Evans, l’auteure de «Searching for Sunday: Loving, Leaving and Finding the Church» (A la recherche du dimanche: aimer quitter et trouver l’Eglise) la prise de distance a été provoquée par le fait que de nombreux évangélique ont mis fin à leur soutient à World Vision, qui vient en aide à des enfants dans le besoin, quand cette organisation a annoncé en 2014 qu’il engagerait des personnes, en couple avec des conjoints de même sexe. Ils avaient dû, par la suite faire machine arrière

Rachel Held Evans, élevée dans une famille évangélique, s’est toujours reconnue comme telle. Dans son ouvrage elle raconte que le terme lui semblait synonyme de «réel» ou «authentique». «Mais, l’incident World Vision a confirmé ce que j’avais suspecté pendant un certain temps», déclare-t-elle. «Mes valeurs n’étaient tout simplement plus compatibles avec les valeurs évangéliques. Et j’en ai eu marre de me battre pour une étiquette qui ne me correspond plus».

«Si vous regardez à travers l’histoire évangélique, les conservateurs et les progressistes ont toujours été en conflit sur ce que signifie être évangélique», explique Deborah Jian Lee, auteure de «Rescuing Jesus: How people of color, women and queer christians are reclaiming evangelicalism» (Secourir Jésus: Comment les gens de couleur, les femmes et les homosexuels chrétiens se réclament de l’évangélisme).

Selon Deborah Jian Lee, deux choses sont en train de se passer actuellement, «soit, les gens quittent et se distancient de l’étiquette évangélique, soit ils restent et essayent de transformer le mouvement». Elle se positionne dans le premier groupe ainsi qu’un certain nombre de chrétiens post-évangéliques qu’elle a interviewés pour son ouvrage et qui se définissent maintenant tout simplement comme «chrétien» — ou comme «chrétien progressiste» ou encore comme «spirituel, mais pas religieux».

De son côté, le blogueur Micah J. Murray se dit «post-évangélique et chrétien progressiste». Ces chrétiens soutiennent que «l’Evangile est pour tout le monde — sans exception», déclare Deborah Jian Lee qui ajoute que pour beaucoup, l’évangélisme consiste en des règles et des limites qui définissant qui fait partie du mouvement et qui en est exclu. «Ce n’est pas une bonne nouvelle et cela ne ressemble pas au message de l’Evangile».

Une question historique

Selon Deborah Jian Lee, il s’agit d’une très vieille question: qu’est-ce qu’un évangélique? Personne n’est d’accord. Certains sondeurs excluent les protestants noirs, les considérant comme une catégorie propre, alors que nombre d’entre eux se considèrent comme évangéliques. D’autres ont recours à des marqueurs comportementaux comme la lecture des Ecritures ou la présence à l’Eglise pour définir un évangélique.

L’Institut pour l’étude des évangéliques américains au Collège de Wheaton, Illinois, estime que le nombre total d’évangéliques s’élève à 100 millions d’Américains. Alors que le Pew Research Center estime ce chiffre plus proche de 62 millions. «Ce qui est clair, c’est que le mouvement chrétien évangélique exerce une influence importante en Amérique. Cela se reflète dans les sondages et dans la manière dont les leaders évangéliques fonctionnent sur le plan politique et culturel», explique Deborah Jian Lee.

Mais selon Larry Eskridg, ancien directeur adjoint de l’Institut pour l’étude des évangéliques américains qui a fermé en 2014, cela n’a rien de nouveau. «Ce n’est pas dû aux nouveaux arrivants dans la culture américaine. Cela fait partie de la composition du pays», a-t-il déclaré. Le mouvement prend ses racines dans l’Eglise primitive et la Réforme protestante (Martin Luther avait nommé son Eglise «evangelische Kirche», l’Eglise évangélique). Le terme «évangélisme» vient du mot grec «euangelion» (εὐαγγέλιον), qui signifie «les bonnes nouvelles». Le mouvement est venu aux Etats-Unis, au moment de l’Indépendance quand des missionnaires tels que John Wesley, George Whitefield et Jonathan Edwards sont venus évangéliser le pays.

Dans les années 1820, le protestantisme évangélique était la forme dominante du christianisme aux Etats-Unis. Il s’est séparé du fondamentalisme entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, revendiquant un plus grand engagement dans le monde et au sein des dénominations chrétiennes. Le mouvement s’est focalisé autour de places telles que le collège Wheaton en Illinois ou l’institut biblique Moody à Chicago; ainsi qu’autour de personnes telles que Billy Graham.

«Mais obtenir que tout le monde marche ensemble est presque impossible. Et la confusion actuelle le montre bien, alors que les évangéliques peinent à maintenir leur coalition», a constaté Larry Eskridg.

Le problème des sondage

Russell Moore n’est pas prêt à abandonner le terme «évangélique». C’est un beau mot, selon lui. «Nous pouvons et nous devons le récupérer». Il ajoute: «une partie de la confusion est née d’un malentendu provoqué par ceux qui sont en dehors de l’Eglise qui, dans de nombreux médias, redéfinissent le mot comme un bloc de partisans politiques.»

Deborah Jian Lee pense que la droite religieuse, mobilisée par des personnalités telles que feu Jerry Falwell, a «fait un bon travail de définition sur ce que signifie être évangélique dans la sphère publique et dans les médias» au cours des 40 dernières années. Cela fait de l’ombre aux progressistes qui font partie de cette sphère depuis longtemps, ajoute-t-elle. Et cela a repoussé un certain nombre de chrétiens qui s’identifiaient comme évangélique, confirme Micah J. Murray.

«Le soutien apporté par beaucoup d’évangéliques à Donald Trump a mis ces tensions en lumière et je constate que les dirigeants évangéliques comme Russell Moore commencent à prêcher un évangile qui ne se limite pas à un seul parti politique», a déclaré Rachel Held Evans.

En interrogeant un panel d’évangéliques sur ce qui définit un membre de leur communauté, le groupe Barna a établi neuf critères théologiques spécifiques. Parmi eux: les gens qui disent que leur foi est très importante dans leur vie, la Bible est exacte et le partage de leurs croyances religieuses avec les non-chrétiens est essentiel. Russell Moore est d’accord avec ce genre d’approche. Pour être considéré comme un évangélique, on doit se mettre d’accord sur des positions théologiques et participer activement à une congrégation locale, insiste-t-il.

Mais une analyse du Pew Research Center publiée mi-mars a montré que ceux qui s’identifient comme «évangéliques» ou «born again» (nés de nouveau) dans leur vote réunissent un grand nombre des mêmes critères que le groupe Barna: ils sont de deux fois plus susceptibles de se rendre à l’Eglise au moins une fois par semaine que les autres électeurs, de partager leur foi avec d’autres et d’accord que la religion est «très importante» dans leur vie et que la Bible est la parole de Dieu.

Les changements dans la culture évangélique

Une partie de la confusion sur le terme provient également d’une crise d’identité au sein de l’évangélisme, selon Russell Moore. Le mouvement «fait souvent un travail très pauvre pour maintenir son identité théologique». «Je pense que cela change parce que quand on regarde ce qui se passe dans les universités, dans les séminaires, dans les grandes conférences à travers le pays, il y a un évangélisme qui est beaucoup plus inconsciemment, théologiquement aligné», a-t-il déclaré.

Ce n’est pas totalement subconscient, cependant une plus grande attention à la théologie «a été rendue nécessaire par des changements dans la culture évangélique», a déclaré Russell Moore. Lorsqu’un accord sur les valeurs culturelles a été assumé, ajoute-t-il, les évangéliques ont minimisé leurs croyances, à la fois entre eux et avec ceux qui sont extérieurs à l’Eglise.

Mais Deborah Jian Lee déclare que «les données démographiques de ce pays sont en train de changer rapidement, et les données démographiques de l’église emboîtent le pas». Les chrétiens non blancs représentaient 19% des évangéliques en 2007, selon le Pew Research Center. En 2014, ce nombre était passé à 24%. Non seulement la composition raciale de gens d’Eglise change, mais aussi les classes d’âge auxquelles appartiennent les croyants, avance Deborah Jian Lee. Ces changements communautaires ont un impact sur les valeurs. Pour Larry Eskridge les nouveaux venus offrent des visions concurrentes de la vision évangélique. Les «leaders autoproclamés» de l’évangélisme ont été des «hommes conservateurs, blancs, de droite» qui interprétaient l’Ecriture selon leur grille de lecture, déclare Deborah Jian Lee. Ils ne peuvent pas concevoir qu’il y ait beaucoup d’autres segments de l’Eglise» qui chérissent l’Ecriture et aime Jésus tout autant et qui veulent vivre cela dans leur vie — ils ont juste un aspect différent», constate-t-elle.

Les jeunes générations de chrétiens évangéliques ont tendance à se situer dans le centre de l’échiquier politique, en déplaçant l’accent sur les questions de justice sociale, selon Larry Eskridge. Même si ce n’est pas entièrement nouveau. Pour expliquer cela, il donne l’exemple de William Wilberforce, qui a aidé à mener le mouvement pour mettre fin à l’esclavage aux Etats-Unis. «Cela a été une question controversée et énigmatique tout le long, mais cela n’est pas nouveau. Déjà là, le débat a débordé espace public et politique.»

Définition d’«évangélisme»

Le quadrilatère évangélique est la plus célèbre définition de l’évangélisme – reconnue par de nombreux évangéliques ou organisations tels que Russell Moore, LifeWay et l’Association nationale des évangéliques. Elle a été inventée en 1989 par David Bebbington de l’Université de Stirling en Ecosse. Il a identifié quatre caractéristiques qui définissent les évangéliques. Premièrement, le conversionisme, c’est-à-dire une croyance dans laquelle chaque personne a subi une conversion et est née de nouveau; deuxièmement, l’activisme, qui est un besoin d’exprimer sa croyance dans l’Evangile par l’action; troisièmement le biblicisme, c’est-à-dire une haute estime pour la Bible comme autorité suprême; et finalement le crucicentrism, qui met l’accent sur le sacrifice du Christ sur la croix.

«L’évangélisme n’est pas une idéologie abstraite, c’est un engagement de l’Evangile que les gens qui se sont présentés à la seigneurie de Jésus Christ ont fait, y compris dans leur vie d’Eglise, déclare Russell Moore. Il y a une ouverture sur les questions qui sont considérées comme secondaires, constate-t-il. Par exemple, Russell Moore est un baptiste engagé, mais il pense qu’un “baptême de croyant” — dans lequel les chrétiens sont baptisés après avoir fait une profession de foi — est négociable pour les évangéliques. Il y existe des désaccords également sur la nature des dons spirituels ou le rôle des femmes dans l’Eglise, dit-il. Les évangéliques sont “obsédés par l’Ecriture”, a déclaré Deborah Jian Lee, mais il y a “la diversité dans la façon dont les gens interprètent le texte et comment ils devraient vivre l’appel de l’Evangile. Cette interprétation est très large”.

Pour sa part, Rachel Held Evans croit encore que la Bible est la parole de Dieu faisant autorité, que la foi est à la fois personnelle et communautaire et l’évangile mérite d’être partagé. Elle considère l’Ecriture comme un aspect nostalgique ancré dans son passé évangélique. Mais elle va maintenant dans une Eglise épiscopale, et elle lutte avec le doute et vote parfois pour les démocrates. Elle soutient également la pleine intégration des personnes gaies, lesbiennes, bisexuelles et transgenres dans l’Eglise et elle déteste que l’évangélisme devienne un synonyme “anti-gay.”

Elle et Micah J. Murray ont toutes deux réagi sur Twitter quand Russell Moore a twitté: “Je me doute bien que la plupart des évangéliques ne me reconnaissent pas comme l’un d’entre eux. Donc après une décennie à essayer de les convaincre de la culture à laquelle j’appartiens, j’ai simplement décidé d’abandonner l’étiquette.”, écrit-il. “Maintenant, je m’identifie simplement comme chrétien”.