Aux entreprises de payer pour le climat?
C’est une démarche inédite: quatre habitants de l’île indonésienne de Pari ont porté plainte «pour atteinte à la personnalité» en février dernier contre le groupe cimentier suisse Holcim, auprès du Tribunal cantonal de Zoug, à la suite de l’échec d’une première tentative de conciliation. Les plaignants sont soutenus par l’ONG protestante EPER (Entraide protestante), qui a médiatisé l’affaire. L’EPER entend utiliser cette procédure juridique pionnière pour obtenir des réponses quant à la responsabilité des entreprises dans le changement climatique, lorsque celle-ci est établie scientifiquement.
Holcim compte parmi les 50 plus grands émetteurs de CO2 au monde, et a émis, selon une ONG indépendante, plus de sept milliards de tonnes de CO2 entre 1950 et 2021, le double des émissions suisses sur la même période. Et selon une étude du Global Climate Forum, association de recherche sur le climat basée à Berlin, les inondations qui détruisent l’environnement de Pari sont directement explicables par le réchauffement climatique.
Responsabilités individuelles
Faut-il pour autant incriminer une entreprise, aussi emblématique soit-elle d’une industrie polluante, pour un phénomène aussi global? Sans surprise, le cimentier ne pense pas que ce procès, «centré sur une seule entreprise, soit un mécanisme efficace pour faire face à la complexité globale de l’action climatique». Pour l’EPER et les plaignants, au contraire, il est temps de sortir des discours globaux qui créent le flou, et de pointer les responsabilités individuelles. «Ces entreprises portent une responsabilité, car depuis les débuts de l’industrialisation elles ont profité des énergies fossiles», estime Miriam Saage-Maaß, vice-directrice juridique du Centre européen des droits constitutionnels et des droits de l’homme (ECCHR).
Mais peut-on incriminer Holcim pour des actions commises alors que le réchauffement climatique n’était pas considéré comme un problème de société? «Juridiquement, on peut s’en prendre aux entreprises à partir du moment où elles ont su, et cela date au plus tard des années 1990», estime la spécialiste. Cette dernière identifie la Seconde Guerre mondiale comme un tournant en matière de responsabilité des entreprises concernant les droits humains. «Les procès de Nuremberg et ceux tenus dans les années 1960 ont établi pour la première fois que des industriels devaient prendre leurs responsabilités, pour avoir privilégié leurs intérêts au détriment des droits humains.» Ces plaintes se sont renforcées avec les mouvements antiglobalisation des années 1990.
Justice climatique
Dans les années 2000, la notion de «justice climatique» fait son apparition. Et, dans les années 2010, les outils de mesures scientifiques se précisent. Les législations aussi. Des militants attaquent donc des Etats, condamnés à revoir leurs objectifs climatiques. Mais également des entreprises. En 2015, l’énergéticien allemand RWE est ainsi visé; en 2021, aux Pays-Bas, la société Shell est condamnée à limiter ses émissions de gaz à effet de serre de 45% d’ici 2030. Car sa stratégie n’est «pas suffisante».
C’est également ce que pointe l’EPER vis-à-vis des engagements d’Holcim. «Nous adoptons une approche rigoureuse et scientifique (en matière climatique) avec les premiers objectifs zéro nets validés de notre industrie, conformément à la trajectoire 1,5°C», explique le cimentier, parfois vu comme un pionnier du béton «vert». «Holcim fait trop peu et s’y prend trop tard», répond l’EPER, analyse détaillée à l’appui. Reste à savoir si un tribunal pourra trancher cela.