Eurofoot 2016: pour qui allez-vous prier?

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Eurofoot 2016: pour qui allez-vous prier?

Emmanuelle Jacquat
10 juin 2016
La phase finale du championnat d’Europe de football débutera ce soir, vendredi 10 juin, en France. Chacun a recours à ses propres gris-gris ou rituels pour assurer la victoire à son équipe. Ainsi, au mois de mai, pour le match de Premier League qui pouvait s’avérer décisif quant à l’octroi du titre de champion d’Angleterre, un moine bouddhiste avait prié pour son club de Leicester City. Une rencontre que l’équipe entraînée par Claudio Ranieri avait emporté. Des personnalités dévoilent leurs rituels pour cet Eurofoot 2016.

Photo: CC(by-sa) Kila P

«Je n’ai jamais prié pour que mon équipe de football gagne», explique Hanna Woodhead, assistante d’éthique à la faculté de théologie de Genève. «Par contre, s’il y a des tirs au but, là je ne promets rien», s’amuse-t-elle. Elle n’est pas la seule des personnalités interrogées à ne pas insister auprès de Dieu pour assurer la victoire de son équipe.

Pour Denis Müller, professeur d’éthique et passionné du ballon rond, «le résultat d’un match de football est totalement indépendant de l’action de Dieu». Le président de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS), Gottfried Locher, déclare que «si Dieu a la bonté de me prêter attention, je ne veux pas lui casser les oreilles avec des résultats de football». Quant à Darius Rochebin, présentateur à la Radio Télévision Suisse, il ne prie pas non plus: «Mais je peux avoir des petites superstitions. Je sais que c’est idiot, mais si la journée se déroule bien, je me dis que c’est un signe de chance qui vaudra aussi pour mon équipe favorite».

Deux de nos «people» interrogées avouent prier pour le football: Carolina Costa, pasteure à Genève et actrice dans la web-série «Ma femme est pasteur» et Jean-Gabriel Cuénod, diacre de Chastavel. Si la pasteure prie, ça ne sera pas pour une équipe: «Ma seule prière c’est de retrouver un football plus équitable, pour retrouver le goût du beau jeu, loin des préoccupations marketing et enjeux financiers». Alors que le diacre Jean-Gabriel Cuénod rappelle qu’«avant chaque match des All-White de Chastavel, nous organisons une nuit de prière obligatoire dans la paroisse. Toutes les familles du village doivent envoyer un représentant et, ensemble, nous prions la nuit durant.» Cependant, le diacre, qui soutiendra la Suisse, regrette «le fait que l’équipe comporte tant d’étrangers. Ma foi, c’est ainsi quand on laisse le pays aux socialistes.»

Des rituels avant les matches?

Certains supporteurs ont leurs rituels auxquels ils ne dérogent pas. Les rites du diacre de Chastavel sont les mêmes que les nuits de prière obligatoires de la paroisse: «De 19h à 23h, nous prions, nus, à genoux sur le gravier, devant la croix. De 23h à 23h15, pause pipi. De 23h15 à 3h, mortification par auto-flagellation. Puis de 3h à 6h, chants». Mais cette année, le diacre de fiction se contentera d’«une nuit de prière qui sera organisée avant chaque match de la Suisse. Le gravier sera limé, afin d’être plus anguleux, et les fouets remplacés par des martinets plombés.»

Les autres personnalités interrogées ont d’autres rites moins sacramentels que ceux de Jean-Gabriel Cuénod. Les rares fois où Gottfried Locher regarde le foot à la télévision, «il y a trois choses que je fais toujours: prendre une bière dans le frigo, ouvrir un paquet de chips et mettre les pieds sur la table du salon», confie-t-il. Le président de la FEPS n’est pas le seul à faire ce rituel. Darius Rochebin, confie que «je veille à avoir à manger et à boire, ça fait partie du charme du moment.»

Quant aux dénouements des matches, Denis Müller se réjouit, «avec malice de la défaite de certains adversaires et singulièrement de la France.» Il soutiendra bien sûr la Suisse. Même si selon lui, l’Angleterre, l’Espagne, la Belgique ou l’Allemagne auront plus de chance de gagner, «sauf si le Tout Puissant, dans son dessein éternel et mystérieux, fait du Portugal, de l’Autriche ou de la Hongrie, une divine surprise, un peu comme la Grèce en 2004.»

Le football une religion?

«Si des joueurs de football prient, c’est à la fois en raison de croyances religieuses externes au sport et pour la possible efficacité symbolique des rituels», explique Fabien Ohl, professeur en sociologie du sport à l’Université de Lausanne. «Il s’agit de rituels profanes qui visent surtout, en tout cas pour les joueurs, à occuper le temps et l’espace de façon à en exercer une maîtrise», poursuit-il. Un joueur peut donc reprendre des gestes, des paroles ou objets qui sont associés à une victoire et sont réutilisés pour le rassurer dans les moments de tension.

Cependant, même si le football avec ses idoles, ses valeurs, ses dimensions rituelles et ses supporteurs donne l’impression que ce sport est devenu une religion contemporaine, ce n’est de loin pas le cas pour Fabien Ohl. «L’emprise des religions est souvent plus importante, l’adhésion au sport peut être plus éphémère, il n’y a pas de texte sacré ni de théologien en charge de l’exégèse», constate-t-il. Le football peut donner une impression du sacré, mais «l’adhésion à ce sport dépend des succès des joueurs ou des équipes, et elle est plus en lien avec des identités nationales, locales, d’âge, de classe ou de sexe que la religion et dont l’inscription sociohistorique est différente».

Liens: des prières pour le foot