«Plutôt que de contrôler sa vie, on peut la confier»

Vivre avec ses finitudes / ©iStock/PeopleImages
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Vivre avec ses finitudes
©iStock/PeopleImages

«Plutôt que de contrôler sa vie, on peut la confier»

Puissance
Comment changer totalement de comportement? La méthode des Alcooliques anonymes se base sur le partage en groupe et la spiritualité. Témoignage d’Etienne (prénom modifié), Vaudois de 65 ans, abstinent depuis vingt-cinq ans.

«La première fois que j’ai bu et fumé des pétards, j’avais 14 ou 15 ans. Au début, c’était une libération, j’ai eu un sentiment d’appartenance immédiat. Je n’avais plus peur, je savais danser, draguer une fille, plein de trucs. Surtout, ne plus penser. A 25 ans, j’ai compris que l’alcool était un problème dans ma vie. Mais cela ne m’a pas empêché de consommer pendant près de quinze ans encore. Je savais que j’étais à la limite. C’est le meilleur, la limite. J’ai toujours été au-delà. C’est là que les choses sont intéressantes… Et catastrophiques. Intéressantes les premières années, pour l’adrénaline, la transgression. Ensuite, ça n’a plus été rigolo du tout. La catastrophe. Se réveiller, boire, trouver de l’argent pour boire… J’ai commis des casses. A un moment donné, il y a l’isolement. A la fin, je ne buvais pas parce que j’en avais envie, je devais boire pour passer une journée ‹normale›».

Je savais que j’étais à la limite. C’est le meilleur, la limite.

«J’avais déjà expérimenté des psys, sans succès. La méthode des AA (Alcooliques anonymes), c’était différent. D’abord, je me suis identifié. Les gens comprenaient ce que je disais, on avait le même langage, et la même histoire. Parce qu’au fond le cheminement dans la dépendance est toujours le même. Ensuite, devoir accepter qu’on est impuissant, qu’on a perdu le contrôle de sa vie, que c’est toujours l’alcool qui gagne. Pour moi, ça a été une libération, je n’étais plus obligé de me battre: je pouvais choisir de ne pas remonter sur le ring! Il m’a fallu deux-trois ans pour assimiler. On comprend avec le cerveau, mais il ne peut pas grand-chose, le cerveau, il faut que ça descende, ressentir avec le cœur.

Enfin, la dimension spirituelle qui fait partie de la démarche des AA a été fondamentale. Plutôt que de contrôler sa vie tout le temps, on peut la confier à une puissance supérieure, que l’on peut nommer comme on le souhaite. Moi, je l’appelle ‹la vie›. Je suis d’éducation catholique, mais je ne crois pas au Dieu de mon enfance. Par contre, je prie, j’ai toujours prié, même au plus profond de la déchéance, j’ai toujours su qu’il y avait quelque chose. Mais, sans le groupe, je n’aurais pas pu accéder à cette puissance-là. La dimension spirituelle existe dans chaque être humain, faut juste rentrer en contact avec elle. Ça se fait rarement du jour au lendemain, il faut le temps. Aujourd’hui, c’est un privilège pour moi d’être dans ce groupe. Sans lui, au quotidien, je vais moins bien.»

Les 12 Etapes

Les 12 Etapes (Julien Gangnet, éd. Goutte d'Or)

Basé sur le témoignage de l’éditeur Johann Zarca, le livre Les 12 Etapes (écrit par Julien Gangnet, éditions Goutte d'Or) revient sur le programme éponyme fondé en 1935 par un trader, Bill W., et Bob S., un médecin. Cette méthode, qui a pour but d’abandonner des «comportements destructeurs, mais familiers», part du principe que l’alcoolisme «est une maladie spirituelle chronique et évolutive qui se guérit par l’abstinence et des principes qui permettent d’adopter un nouveau mode de vie». Le programme demande à chaque participant de faire appel à la puissance spirituelle supérieure de son choix, tout en rappelant «qu’aucune puissance ne peut agir sur vous sans votre accord». Johann Zarca témoigne: «Ce jour-là, une puissance supérieure, le groupe, a pris en charge mes difficultés émotionnelles, mon anxiété, mes frustrations.» Un texte fort, qui montre combien il est déstabilisant de mettre à nu ses vulnérabilités, d’affronter ses peurs, de lâcher ce qui est familier. Tout ce qu’il faut traverser pour construire un nouveau mode de vie.