Abba Arsène: «Fuir, se taire, se recueillir»
Les pères du désert? Ce sont ces premiers chrétiens à avoir quitté leur société pour se retirer dans la solitude, y vivre l’Evangile et chercher la rencontre avec cet absolu qu’est Dieu. Leurs paroles, toujours lapidaires, souvent tranchantes, offrent des enseignements encore actuels pour la vie intérieure aujourd’hui.
Arsène, ou mieux abba Arsène – c’est-à-dire «père» Arsène –, est l’un de ces solitaires. Né vers l’an 350, il quitte sa ville autour de de ses 40 ans, après une vie cultivée, mais dissipée. Dans l’espace aride et ardent du désert, entre le sable et le ciel, il mène jusqu’à sa mort (à l’âge respectable de presque 90 ans) une existence d’une extrême austérité. Elle le conduit à faire des expériences incandescentes.
Tout entier comme du feu
Selon les récits, un visiteur venu trouver Arsène le découvrit un jour recueilli dans sa cellule: il apparaissait «tout entier comme du feu». De cette expérience née de la persévérance dans la prière, d’autres pourront se nourrir pour faire éclore en eux une vie spirituelle.
Dans sa prière, Arsène demandait à Dieu comment se comporter pour être juste et trouver la paix. Il entendit cette réponse: «Fuis, tais-toi, garde le recueillement!» Même si peu sont appelés à imiter ce père du désert dans la radicalité de sa vocation, ces trois verbes dévoilent une sagesse accessible à beaucoup.
«Fuis!»
S’éloigner du lieu où l’on vit habituellement, pour un voyage même bref, cela ouvre sur de nouvelles réalités, en révélant qu’en chaque personne réside l’aspiration à un «ailleurs»… Quitter la routine amène à s’interroger sur sa vie et sur les relations avec ses proches. Ce n’est pas s’enfuir du quotidien, mais s’accorder la possibilité toujours renouvelée de tisser des liens authentiques et féconds.
«Tais-toi!» Faire silence: ce conseil va à contre-courant du rythme assourdissant de nos sociétés inondées de bruits et de messages. Or le silence peut enseigner à parler, en faisant discerner le juste poids des mots: sont-ils encore capables de créer des relations, d’engendrer la communion? Car, selon un autre père du désert, «la victoire sur toute peine qui te survient, c’est de garder le silence» (abba Poemen).
«Garde le recueillement!»
Autrement dit: trouve le repos! Non de manière passive, mais responsable. Un repos capable de procurer la paix, voire la réconciliation entre la vie – avec ses énigmes – et la personne, entre les autres et nous… Le recueillement permettra de «penser en grand», de s’exercer à l’amour en contemplant l’amour dont on est l’objet.
Loin d’appeler à l’isolement, abba Arsène rappelle dans cette brève sentence certaines conditions pour une vie pleinement humanisée: avec soi, les autres et Dieu.
Les apophtegmes des pères
Les pères du désert nous sont connus avant tout à travers leurs paroles, qui ont été rassemblées dans des recueils par leurs disciples. Ces collections ont été transmises sous le titre d’Apophtegmes («sentences»). De la vie de ces moines qui peuplaient les déserts d’Egypte au IVe siècle, peu de choses sont connues. Mais leurs sentences — parfois légendaires — les font apparaître comme d’éminents connaisseurs de la personne humaine. Loin des spéculations célestes, leurs propos s’ancrent dans les choses terrestres, pour y discerner, avec sévérité parfois, les réalités vraiment spirituelles.