Les sexualités, terre d’incompréhensions
Homme ou femme? Pour pénétrer dans l’enceinte du rassemblement œcuménique de Karlsruhe, chaque personne participante a dû s’aligner dans une file correspondant à un genre, pour subir une fouille corporelle. L’expérience, anodine pour la majorité, est en réalité désagréable pour certaines minorités. Quid, par exemple, des personnes intersexes?
Une pasteure américaine en tenue ministérielle, col romain et cheveux courts, s’est quant à elle vue reléguée dans la file masculine par le personnel, qui a cru avoir affaire à un homme. Manque de bol, Junehee Yoon est membre de l’United Lutherian Seminary (Philadelphie) et spécialisée en éthique chrétienne et en théologie queer. Comme d’autres, elle demande au COE «de continuer à fournir des espaces sûrs». «On ne demande pas à l’institution d’être d’accord avec les théologies queers ni même de les soutenir, mais juste de concevoir les espaces permettant à tout le monde de se sentir accueilli et reconnu. Il faut pouvoir continuer à parler de ces sujets.»
Mariage monogame
Or, demander à être accueilli tel quel et poursuivre la conversation est déjà un défi en soi: cela peut être compris comme une reconnaissance de la multiplicité des sexualités humaines. Alors que pour certaines Églises cette diversité n’entre pas en ligne de compte.
«La difficulté est que toutes les Églises ne viennent pas à la question de la sexualité humaine avec les mêmes perspectives. Pour l’Église orthodoxe en général, l’enjeu est de conserver une perspective selon laquelle l’expression la plus haute de la sexualité humaine reste l’hétérosexualité perpétuelle, vécue dans un mariage monogame», détaille Alexander Prentel, archiprêtre de l’Église orthodoxe russe à New York.
«Ce qui ne signifie pas que d’autres formes de sexualité soient déniées. Le monachisme – célibat – est ainsi hautement valorisé dans notre tradition», nuance ce professeur de droit canon internationalement reconnu. «Simplement, elles vont souvent être considérées comme des situations brisées à réparer.»
Par ailleurs, alors que nombre d’identités LGBTQI+ sont construites sur la sexualité, du côté orthodoxe, par exemple, on insiste sur le fait que «notre identité est d’abord en Christ et pas autre chose». Difficile, avec des perspectives aussi opposées, d’offrir un cadre et un dialogue bienveillant sur ce sujet. Mais pas impossible!
Dès 2008, le COE a entamé une réflexion pour permettre à ses membres de travailler méthodiquement sur leurs désaccords éthiques. Cette réflexion d’ampleur, menée par une commission ad hoc, a abouti à des rapports disponibles en ligne, précieux pour des Églises confrontées à ces questionnements. A travers l’analyse de 19 situations historiques dans les principales traditions chrétiennes, cette commission a analysé ce qui conduisait une Église à faire changer (le terme «évoluer» a été banni, car jugé connoté) son positionnement sur des questions éthiques: avortement, prêt à intérêts, etc.
Plusieurs facteurs jouent un rôle dans ces changements: le contexte sociétal, le niveau des connaissances scientifiques, les évolutions théologiques, la manière dont l’Église se perçoit à un moment donné… Seule inconnue, explique la professeure catholique Myriam Wijlens (Erfurt), qui a dirigé ce travail: «On ne sait toujours pas pourquoi certaines questions en particulier divisent… et d’autres non!»