Les croyants, nouvelles victimes de la mode
Le vêtement religieux est à l’affût des dernières tendances, et aucune des trois religions monothéistes n’y échappe. Le style sert l’affirmation de l’identité. Tour d’horizon.
Au placard, la discrétion. La mode s’est faufilée dans la spiritualité, à tel point que le croyant s’affiche désormais sous l’étendard du textile. Non seulement le religieux ne rêve plus de podium, car il y défile, mais les croyances investissent les boutiques de prêt-à-porter et les dressings des fidèles. Le vêtement s’impose comme le marqueur visible de la foi de nos contemporains qui tient bon, malgré une religiosité occidentale défraîchie.
Dernière tendance en date: le voile chrétien. Sur Tiktok, de jeunes influenceuses l’arborent fièrement et proposent même des tutos propres au port de cet accessoire de foi. Et les vues se comptent par milliers. Loin d’être des pionnières, ces jeunes femmes s’inscrivent dans un phénomène plus large qui touche toutes les religions monothéistes. «Avec la sécularisation et la laïcisation galopantes de nos sociétés occidentales, les croyants veulent faire paraître leur identité. Le vêtement se révèle donc idéal», explique Alberto Fabio Ambrosio, professeur de théologie et d’histoire des religions à la Luxembourg School of Religion & Society et co-directeur de recherche au Collège des Bernardins.
La pudeur chic
L’identité religieuse se met au goût du jour à travers celle du vêtement religieux. En fer de lance, la modest fashion ou mode pudique, qui connaît un succès auprès des femmes évangéliques et juives orthodoxes outre-Atlantique notamment, mais aussi des musulmanes. Le concept? Des vêtements amples et couvrants à la pointe des dernières tendances. Mais l’humilité est aussi un état d’esprit. Les adeptes revendiquent une réappropriation du corps de la femme, l’inclusion et la liberté. La modestie se fait l’expression différente de la féminité.
Hanan Shadia Osman est en plein dedans. Mannequin et styliste de modest fashion, cette Suissesse d’origine somalienne et musulmane est aussi hijabista (influenceuse portant le foulard). Depuis deux ans, sur Instagram, elle s’affiche en tenues sobres, suivie par plusieurs milliers de followers. «La modest fashion me permet d’être qui je suis: une femme forte et indépendante, qui décide de ce qu’elle porte, sans se préoccuper du regard des autres», lâche-t-elle.
Dans les rayons de sa boutique Modesty by Shadia à Saint-Gall, les clientes trouvent les créations de la patronne, soit «des vêtements qui suivent les tendances qu’on retrouve chez H&M ou Zara, par exemple, le décolleté et les jambes nues en moins», précise-t-elle. Si la clientèle dépasse largement les seules femmes de confession musulmane, ces dernières trouvent dans la modest fashion, une offre «pratique», alliant tendances et religion. «La modestie permet de sortir des stéréotypes reliant une femme voilée à l’oppression. Les stars s’y mettent aussi. Lorsque les chanteuse Rihanna ou Jennifer Lopez portent un foulard, le symbole est différent, cela permet de faire bouger les lignes et ouvrir les esprits», illustre l’influenceuse.
Le risque identitaire
Du chemin reste pourtant à faire: «Dans les années 1960-1970, l’émancipation de la femme passait par un corps visible. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Les femmes choisissent et assument d’être couvertes, de porter des vêtements oversize, qui leur plaisent. Tout le monde ne le comprend pas», précise-t-elle. Plus qu’une nouvelle façon de vivre sa foi, pour Hanan Shadia Osman, le look modeste exprime aussi une singularité par le vêtement.
Une affirmation que Alberto Fabio Ambrosio, auteur de Théologie de la mode. Dieu trois fois tailleur (Ed. Hermann, 2022) nuance. «La modest fashion reprend le grand principe de la mode: créer l’illusion de nous rendre différents. Or, dès lors que vous donnez à un groupe le pouvoir d’exister, il devient homogène. Le vêtement religieux n’y échappe pas», explique-t-il. On renouerait presque avec une époque antérieure à la Révolution française. Le vêtement constituait alors un uniforme, dépendant du grade ou du rang social. «Après cet épisode, on parle de démocratisation du vêtement. Or, là aussi, il s’agit d’une illusion. La liberté et l’individualité vestimentaires restent tributaires des moyens financiers», rappelle l’historien des religions. Et d’ajouter: «Si l’on ne peut plus s’imaginer en dehors d’un certain type d’habits, il n’en est alors plus un. Il nous cantonne à une représentation unique de nous-mêmes et devient une identité absolue.» Un risque, selon lui, pour le vivre-ensemble dans une société qui a perdu le sens complexe du langage vestimentaire.
Fashion en chaire
Ainsi, si «l’habit ne fait pas le moine, mais la profession», selon la formule, celui-ci fait bouger les lignes. Depuis deux ans, la robe pastorale se dépoussière sous l’aiguille de Virginie Faux. Cette costumière française propose des créations sur mesure sous la marque F. Pastoral. Et les jeunes ministres ne se font pas prier. Une première pour un vêtement qui n’a pas bougé depuis le XVIe siècle. «La clientèle recherche une tenue plus pratique, adaptée à l’exercice du ministère qui ne se limite plus au prêche en chaire», explique Virginie Faux. Plus légère, moins ample, plus courte, inspirée de la pop culture, la tenue universitaire se redessine. Les femmes ont des envies de robes se rapprochant de ce qu’elles portent au quotidien, quant aux hommes, ils se laissent influencer par des silhouettes à la Matrix ou Star Wars.
Pour autant, la couturière a quelques garde-fous: rien au-dessus du genou, histoire de pouvoir se baisser sans occasionner de malaise, le maintien de la couleur noire et du rabat. Et pour viser juste, elle peut compter sur son compagnon, pasteur de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et Lorraine. Pour la créatrice: «La robe doit rester un vêtement distinctif, tout en rompant avec l’image autoritaire à laquelle elle renvoie et ainsi permettre une plus grande proximité avec les fidèles.»