«Il faut que des voix s’élèvent contre l’injustice»
Photo: ©ARC/J-B Sieber
Propos recueillis pas Stéphanie Billeter, «Bonne nouvelle»
Vous avez travaillé à Amnesty International, au CSP, créé le Bureau vaudois de l’intégration avant de diriger le Bureau de l’égalité et le mois prochain l’EPER. L’engagement est-il s’inscrit dans votre ADN ?
Magaly Hanselmann: Sans doute oui ! Très tôt j’ai eu beaucoup de mal à supporter les injustices, les exclusions. Mon principe fondamental est : « Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse ». J’ai toujours essayé de comprendre dans quelle situation sont les personnes, d’aller à leur rencontre. Pour moi, l’intégration, c’est aussi aller vers l’autre. Semer la bonne parole, ce n’est pas pour moi. Les solutions ne se trouvent pas en nous, mais dans le dialogue.
N’avez-vous jamais ressenti de lassitude, l’envie de baisser les bras ?
Au contraire! Je pense qu’il y a des personnalités qui s’épanouissent plus ou moins dans l’adversité, ce qui est mon cas ! Certaines personnes au discours xénophobe oublient les êtres humains au bout de la chaîne. Il est important qu’il y ait des voix qui s’élèvent. Je suis par exemple frappée par l’image du requérant, celle d’un homme seul avec une forte propension à la délinquance. Je me suis rendue à Vallorbe, où j’ai reçu des témoignages de femmes, de familles, de familles monoparentales. Et le plus souvent, c’est par le travail que les mères accomplissent que se fait l’intégration.
Quel va être votre gros défi à l’EPER ?
L’un des grands défis sera la mise en œuvre des dernières modifications de la loi sur l’asile. C’est une des lois les plus renouvelées ces vingt dernières années et toujours dans le sens d’un durcissement, sous le prétexte d’économies, en oubliant le droit des personnes. La Cour européenne des droits de l’homme a reconnu que la pratique de la Suisse en matière de règlement Dublin n’était pas correcte. C’est nécessaire qu’il y ait un service juridique fort comme celui du SAJE, que l’EPER mène en collaboration entre autres avec SOS Asile, le CPS et Caritas, pour pouvoir appuyer les migrants dans leurs recours.
Les questions sur l’asile sont-elles pour vous plus importantes que celles sur l’égalité, que vous quittez ?
Je vois davantage une continuité dans le fait de poursuivre mon engagement en faveur des droits humains, qui sont le fil rouge de mon parcours, et de la faire du côté de la société civile, d’une ONG plutôt que de l’Etat. Je n’opposerai pas les deux car ils vont de pair. Je suis associée à un groupe de travail pour la question des femmes migrantes victimes de violence domestique dont le statut de séjour est menacé dès le moment où elles dénoncent les violences subies. Et la question de l’égalité des chances est au cœur du travail de l’EPER.
Avec quelle mise en œuvre ?
Alors qu’il y a un manque évident de main-d’œuvre qualifiée, dans les domaines de la santé et de l’ingénierie, surtout dû au 9 février, la qualification des migrants est très difficile à faire reconnaître ici. La politique migratoire suisse crée des catégories d’étrangers. Plus le statut est précaire, plus il est compliqué de s’intégrer. Avec le permis F, il y a des familles entières qui ont vécu dans une précarité énorme. Selon moi, placer l’être humain au centre est la clef d’une réponse durable à la crise migratoire actuelle.
Allez-vous poursuivre la collaboration avec les Eglises ?
Historiquement le lien est très fort, car l’EPER a été fondée par la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS), et ça sera mon rôle de le renforcer en me rendant dans les paroisses, auprès des personnes concernées. Les Eglises ont joué un rôle primordial dans le soutien aux personnes précaires, notamment aux réfugiés. Elles peuvent, à des moments-clefs, être un contre-pouvoir moral et éthique auprès des instances politiques. Les valeurs protestantes font partie de mes racines. Vous parliez d’ADN, il est là, je crois. Ces valeurs m’ont poussée et se traduisent dans mon engagement pour les droits humains. C’est important d’avoir des racines fortes pour aller vers l’autre. On va vers l’autre quand on sait qui on est.
Magaly Hanselmann revient sur la situation de la femme et l'égalitéVous quittez le Bureau de l'égalité, mais il y a encore du travail à accomplir à ce niveau…
C'est important que ce bureau soit force de proposition et que ces projets soient arrivés à des étapes concluantes. Je pense à la violence domestique et le fait que le conseil d'état ait pu adopter cet avant-projet de loi pour le mettre en consultation. En 2006, une députée avait demandé en vain la mise en place d'une loi. Dix ans après, c'est fait et c'est décisif. L'idée de la loi est de mieux coordonner les prestations, que la victime et l'auteur soient cadrés. Pour rappel, il y a eu 2800 infractions en 2015 uniquement dans le canton. Cela implique trois à quatre interventions policières par jour et cinq homicides sur sept relèvent de la violence domestique. Oui, il y a plus de gens qui meurent sous les coups de la violence domestique qu'attaqués dans la rue. Cela montre bien que le sentiment d'insécurité par rapport à l'espace public est la conséquence de préjugés, comme l'amalgame souvent présent entre requérants d'asile et délinquants.
Comment changer ce regard?
C'est notre rôle et notre enjeu au sein de l'EPER de modifier le regard de la population. Les gens se laissent emporter dans les stéréotypes. Par exemple, les discours sur les économies réalisées grâce aux différentes modifications de la loi sur l'asile ne m'ont jamais convaincue, car ils ne reflètent qu'une petite partie de la réalité et une vision à très court terme. Maintenir certaines catégories d'étrangers dans une situation d'exclusion et de grande précarité a des conséquences plus importantes à long termes, qui se traduisent par des coûts de santé publique et par un renforcement des mesures d'intégration professionnelles lorsque ces personnes n'ont pas pu avoir accès au marché du travail pendant plusieurs années. C'est une question de cohésion sociale. Quand on parle de personnes étrangères en Suisse, il faut savoir que ce qui relève de l'asile est infinitésimale, de l'ordre des 6%.
Pour reprendre aussi la situation de la femme en général, elle est toujours difficile…
En effet. Par rapport au salaire, on est toujours à plus de 15% d'écart salarial, dont une partie peut être expliquée par des différences de parcours induite par l'éducation garçon-fille. Déduction faite de cette partie de la différence salariale que l'on peut expliquer, la part inexpliquée reste importante. L'OFS avait calculé en 2010 que cela représentait environ 7 milliards par année que les femmes ne touchaient pas sans autre explication significative que le fait qu'elles soient des femmes. Pourtant, le salaire égal est un principe inscrit dans la constitution. Or, c'est comme si on demandait un privilège. Comme si dans l'esprit des gens le salaire des femmes demeure un salaire d'appoint. Au vu des contingents de la main d'oeuvre suite à la votation du 9 février, il s'agit de mieux les intégrer plus au marché du travail. Je suis contente que le conseil d'Etat ait décidé d'adopter un contrôle d'égalité salariale au sein de l'administration et qu'il ait décidé de poursuivre son effort. Il faut que les entreprises se rendent attractives pour cette main d'oeuvre et tiennent un discours qui soit suivi d'effets. Il y a des mesures à prendre, des créations de crèche, des horaires annualisés qui tiennent compte des réalités familiales qui peuvent se mettre en place, tout cela doit être mis au centre des priorités.
Sur un autre sujet, que pensez-vous du débat sur la burqa?
Mon approche a toujours été d'aller vers les gens et quand on va vers les femmes musulmanes, on voit qu'elles ont envie de casser cette image stéréotypée de « femme soumise ». La manière dont la question de la burqa a été posée biaise le débat. Ma première réaction est de refuser de tomber dans le piège ainsi posé et refuser de débattre. Il faut sortir du cadre pour trouver une solution du vivre ensemble. Les interdits qui visent une population ne peuvent que renforcer les animosités entre les gens. La cohésion sociale s'en trouve amoindrie et tout le monde en souffre. Et pourquoi lorienter le débat uniquement sur la burqa ? Cela concerne en fait très peu de personnes. Les dommages collatéraux peuvent être importants car nous sommes au coeur d'un non choix. Soit on est pour le droit des femmes mais c'est un discours qui vient étonnamment de personnes qui ne ses ont jamais illustrées pour leur soutien à ces mêmes droits. Soit il s'agit de s'attaquer aux signes religieux, mais le débat est focalisé sur une seule communauté avec un risque majeur de stigmatisation. Est-ce proportionné au problème public que ça pose, la question est là.