Le cri silencieux de nos aînés
Chaque fois que je rentre dans une chambre d’un∙e résident∙e, je regarde ce qu’il leur reste de leur vie d’avant. Je guigne et je vois un meuble, un bibelot, un tableau, un bijou, etc. Mais surtout, dans presque toutes les chambres, leur chez-soi est inondé de photos. Des images de leur long passé, des images de leurs êtres chers. C’est toute leur vie et leurs yeux s’illuminent, leur langue se délie à l’évocation de ces souvenirs. Ils racontent un peu, beaucoup avec ou sans larme un bout de leur histoire.
Au salon, le calme règne. Ils lisent, ils somnolent. Le temps est long et ils attendent que les heures passent ou secrètement une visite. La vie reprend ses droits quand ils aperçoivent un membre de leur famille, un ami ou un enfant qui franchit le seuil. Sous l’effet de la joie, leur corps se déplie, une lueur nouvelle dans leurs yeux naît et ils s’éclairent, ils sourient. Ils sont heureux!
Alors quels sont leurs besoins pour ce petit bout de vie qu’ils leur reste encore à vivre? Respect, dignité, réconfort, écoute, accompagnement, bienveillance, amour et tendresse sont les premiers mots qui me viennent. Être entouré!
Depuis deux ans, un virus bafoue leurs droits fondamentaux. Comme certains résidents disent: «nous sommes en prison». Accepterons-nous encore longtemps de ne plus les voir que derrière un plexiglas ou devant montrer patte blanche avec un code QR et une carte d’identité ou un test pour entrer dans le home?
Souvent ils nous répètent: «Je ne sers à plus rien». Et là, leur vie s’est presque arrêtée. Ils ne peuvent même plus voir, serrer, embrasser, comprendre leur être cher caché derrière un masque ou une vitre. Dans leur dernière demeure, ils n’ont plus leur mot à dire. Ils ne peuvent choisir entre la vie et la mort. Le gouvernement a répété maintes fois: «il ne faut pas que les personnes âgées encombrent nos hôpitaux!». Alors, c’est plus simple de les isoler…
Alors ils ont été ou ils sont encore privés de faire connaissance, de serrer, de s’émerveiller devant leur nouvelle génération d’enfants qui font leur fierté. Ils n’ont pas le droit de venir «chez eux»!
Alors parfois aussi, ils meurent en silence, seuls, dans la souffrance de ne pas avoir eu une main, une parole, un geste, un bec. La présence tout simplement d’un être cher à côté d’eux.
Drôle de monde occidental riche en matériel, en pouvoir d’achat où j’assiste avec effroi et tristesse à la déshumanisation, au sacrifice par l’isolement de nos anciens qui nous ont tant donné, tant appris. Ils méritent jusqu’au bout la dignité et le respect.
Au nom d’un virus, le cri de l’abandon de nos anciens retentit dans la nuit, mais notre gouvernement n’entend pas!