«On peut vivre avec une bonne qualité de vie jusqu’à la fin»

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«On peut vivre avec une bonne qualité de vie jusqu’à la fin»

Noriane Rapin
28 novembre 2016
Mercredi se tiendra la leçon inaugurale du prof. Ralf Jox, titulaire avec la Dre Eve Rubli Truchard de la nouvelle chaire de soins palliatifs gériatriques à la Faculté de biologie et de médecine de Lausanne. Le but de ces deux médecins: mettre sur pied des formations pour l’ensemble des soignants qui s’occupent des personnes âgées, et mener des recherches à partir des questions du terrain. Une démarche qui s’inscrit dans l’actualité.

Photo: Amrita B CC (by-nc)

C’est une première mondiale: une chaire universitaire consacrée à la prise en charge des personnes âgées en fin de vie. La Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne a fait œuvre de pionnière ce printemps en confiant un tel mandat à Ralf Jox, neurologue, palliativiste et éthicien, ainsi qu’à Eve Rubli Truchard, gériatre et directrice du centre de réadaptation de Sylvana. En faisant des soins palliatifs gériatriques une discipline académique à part entière, ils pourront améliorer la formation des soignants dans ce domaine, ainsi que la qualité et l’efficacité de la prise en charge à l’hôpital, en EMS et à domicile.

«Sur le terrain, les gériatres reçoivent déjà une formation en soins palliatifs», explique Eve Rubli Truchard. «Mais dans les faits, ils travaillent surtout à l’hôpital, où ils sont peu confrontés à des situations de fin de vie. De même, les soins palliatifs ont été plutôt conçus pour les malades du cancer, et ces soignants ne sont pas formés en médecine de la personne âgée. On ne peut pas demander à tout le monde d’avoir la double formation: il faut pouvoir travailler en synergie, en profitant des compétences des uns et des autres, et c’est pour cela que cette chaire a été créée.»

Bien qu’ils évoluent dans un contexte universitaire, avec les exigences de recherche qui s’y rattachent, il n’est pas question pour ces médecins de se couper du terrain et des questions qui s’y posent. «Nous avons défini deux axes de recherche,» continue la doctoresse. «Le premier traite des questions éthiques et psycho-sociales, par exemple autour du discernement en cas de démence. Le second concerne les systèmes de santé, c’est-à-dire la formation des soignants et la communication entre professionnels.»

Ouvrir le dialogue

Il s’agira par exemple de mettre sur pied des «projets de soins anticipés», grâce auxquels les patients pourront choisir suffisamment tôt la manière dont se dérouleront les dernières étapes de leur vie, selon leurs propres valeurs. L’idée globale est ainsi de replacer au centre le patient âgé et ses désirs, même lorsque celui-ci ne pourrait plus décider pour lui-même, et même lorsqu’il aborde frontalement la question de sa propre fin. Or, selon Eve Rubli Truchard, ce dernier aspect pose problème à plusieurs niveaux.

«Je suis toujours frappée de constater à quel point les personnes âgées ont de la facilité à se confier sur leur mort dans le contexte de l’hôpital; par contre, ce sujet est tabou pour leurs familles. Parallèlement, dans la société, il existe des mouvements extrêmes qui banalisent la mort des personnes âgées, ce qui leur donne l’impression qu’elles n’ont plus de raison de vivre. C’est catastrophique! Il faut redonner un vrai rôle à nos aînés, nous avons du retard par rapport à d’autres pays. C’est aussi le rôle de cette chaire que de lever le tabou de la mort en société et de s’opposer à la dévaluation des personnes âgées.»

Stéfanie Monod, gériatre également, est cheffe du Service de la santé publique du Canton de Vaud. Elle a mené une étude sur le désir de mort des personnes en EMS, et fait un constat similaire à celui de sa collègue: «Dans le débat public aujourd’hui, il est difficile pour les aînés de parler simplement d’un désir de mourir. C’est une réalité que de penser à la mort lorsque l’on est très âgé, sans forcément vouloir mettre fin à ses jours. Or, ni les soignants ni les proches ne reconnaissent cette relation à la mort. Les personnes âgées se sentent donc seules avec leurs pensées autour de leur finitude, sans oser les partager. Il faudrait pouvoir en parler avant que le désir de mort ne s’exprime de manière spectaculaire par une demande de suicide assisté, qui laisse tout le monde désemparé.»

Un devoir de société

L’actualité récente montre que la question de la mort à un âge avancé reste effectivement complexe. A Genève, deux hommes ont souhaité empêcher leur frère âgé de se suicider avec Exit. Ce dernier a mis fin à ses jours par ses propres moyens. «Cette histoire m’a beaucoup touchée», confie Eve Rubli Truchard. «Cela montre que prendre en compte l’environnement est extrêmement important. Malgré que nous voulions décider pour nous-mêmes, nous vivons en société avec d’autres personnes, et nos décisions ont des répercussions.»

Ces décisions de suicide assisté sont en outre beaucoup plus difficiles à interpréter qu’il n’y paraît. «Il faut creuser et chercher ce qui se trouve derrière ces demandes», insiste la directrice médicale de Sylvana, qui en compte de plus en plus dans son établissement. «Aux Etats-Unis, une étude a montré que 80% des personnes qui émettent ce souhait finissent par y renoncer lorsqu’on leur expose des alternatives. Nous avons un devoir de société qui est de voir ce qui se passe avec Exit ou d’autres associations, de vérifier qu’une enquête est menée et des alternatives effectivement proposées. Sinon, c’est la nébuleuse.»

Si Eve Rubli Truchard reconnaît qu’il faut accompagner au mieux les personnes qui persistent dans cette démarche, elle souligne aussi que cela interroge les soignants, dont ils sentent que ce n’est pas leur rôle. «Les soins palliatifs font partie des alternatives au suicide assisté», ajoute-t-elle. «Nous devons pouvoir dire que l’on peut bien vivre jusqu’à la fin, avec une bonne qualité de vie!»