Quand le secret protège la vie
Photo: Harry Burrows CC(by-sa)
«Le secret professionnel est un aspect très important dans les Eglises, je dirais même essentiel. Il est établi à plusieurs niveaux: contrat de travail, règlement du personnel et cahier des charges.» Christine Cand-Barbezat, responsable des ressources humaines pour l’Eglise réformée évangélique du canton de Neuchâtel, peut témoigner qu’on ne plaisante pas avec le secret professionnel dans les institutions ecclésiales. Mais il faut savoir qu’il s’agit aussi d’une attente de la société vis-à-vis des Eglises, et d’une obligation légale: l’article 321 du Code pénal suisse stipule en effet que les ecclésiastiques sont tenus de taire les secrets qui leur auraient été confiés dans l’exercice de leur profession.
En quoi consiste le secret pastoral? «Il s’applique lorsque quelqu’un me confie quelque chose qui n’est pas censé être connu par ailleurs», explique Daniel Pétremand, pasteur et aumônier au CHUV, avant de préciser: «On peut avoir une conception plus ou moins restrictive, selon qu’on estime que tout ce que dit la personne est confidentiel, ou que certaines choses peuvent être transmises à l’équipe soignante avec l’accord du patient.»
Ne pas porter préjudice et reconstruireIl y a donc une part de flou dans l’interprétation. «Ce qui est punissable, c’est de porter préjudice», continue Daniel Pétremand. «Le critère pour déterminer le degré de confidentialité d’un secret, ce n’est pas seulement moi qui le pose, c’est aussi l’autre. Qu’est-ce qui lui sera délétère ou profitable avec ce que je vais faire de qu’il me dit? Ce qu’il me confie est-il confidentiel ou non? Mon métier d’aumônier d’hôpital est d’une part de vérifier ce que le patient estime confidentiel et d’autre part de partager certaines informations pour mieux être ensemble au service du patient. Mais par ailleurs, puisque nous sommes dépositaires d’informations parfois sensibles, il y a des situations où la confidentialité peut protéger la vie.»
Cette protection de la vie n’est pas à comprendre seulement au sens littéral, mais aussi et surtout comme une préservation de la sphère privée. «Laisser aux gens la possibilité de dire ce qui les anime leur permet d’exister», affirme Nicolas Charrière, aumônier de prison. «Mais pour cela, il faut avoir la garantie que ces dires ne finiront pas sur la place publique. D’autre part, il est important de tisser une relation de confiance. Dans le milieu carcéral, par exemple, ce lien est extrêmement précieux, car il participe à la réinsertion du détenu. Sans confiance, il n’y a pas de relations humaines ni de vie en société possibles.»
A la question de savoir si le secret professionnel des ecclésiastiques serait menacé par les évolutions de la société, aucun des deux aumôniers ne semble inquiet pour l’avenir, soulignant tous deux que leur métier exige une telle disposition. Mais Nicolas Charrière nuance: «Après des affaires comme celles de Fabrice A. ou Claude D., il y a une tentation du tout-sécuritaire qui pourrait tomber dans l’excès. Mais ni les psychologues, ni les médecins, ni les aumôniers ne peuvent plus aider les gens à se reconstruire sans un minimum de confidentialité. Sans cela, le vivre ensemble est menacé. Derrière l’appellation technique “secret professionnel” se cache la volonté de prendre au sérieux la parole de l’autre et de préserver son humanité.»
Un guide pour les Eglises et les accompagnantsRencontre avec Esther Gaillard, membre du conseil de la FEPS, autour du livre «Le secret professionnel au service de l’accompagnement spirituel».
Pourquoi avoir fait maintenant ce livre sur le secret professionnel?
En 2013, lors d’une rencontre entre professionnels des soins palliatifs organisée par la FEPS, la question avait surgi dans ces équipes interdisciplinaires. Les aumôniers ont-ils des règles ou des informations qui leur seraient utiles pour travailler en collaboration avec les autres membres de l’équipe tout en respectant le secret professionnel? Grâce aux réponses obtenues, nous avons pu constater que si les pasteurs sont astreints au secret professionnel, les diacres ou bénévoles sont astreints au secret de fonction pour autant que cela figure dans les règlements des Eglises. Personne ne s’était encore penché de manière approfondie sur la question du dilemme vécu par les accompagnants spirituels entre le devoir de respecter le secret professionnel et l’exigence de partager des informations que demande le travail en équipe interdisciplinaire. La FEPS a donc décidé d’écrire un ouvrage à ce sujet qui pourrait servir de guide concret. En creusant la question, nous avons réalisé qu’il fallait élargir l’étude: les aumôniers d’hôpitaux ne sont pas les seuls à travailler en équipe. Et le secret professionnel est parfois un fardeau pour chaque accompagnant spirituel. Que cela soit en clinique psychiatrique, en EMS, en prison, au sein d’une équipe d’intervention d’urgence ou d’une paroisse: chacun se trouve dans un réseau de relations.
A qui s’adresse ce livre?
Cet ouvrage permettra aux pasteurs, diacres ou bénévoles actifs dans l’accompagnement spirituel, ainsi qu’aux responsables d’Eglises, de trouver des réponses à leurs questions. Fondé sur des exemples de cas concrets, il expose les questionnements qui peuvent surgir, les bases juridiques qui s’y rapportent ainsi qu’une réflexion théologique pour chacun des cas.