Des expériences spirituelles sous drogues aident des patients atteints du cancer

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Des expériences spirituelles sous drogues aident des patients atteints du cancer

Don Lattin
20 décembre 2016
De récentes études ont montré que l’utilisation thérapeutique de drogues hallucinogènes améliorait grandement la santé psychique des personnes atteintes d’un cancer

Photo: ® RNS/Matthew Johnson/Courtesy of Johns Hopkins

(RNS/Protestinter)

Le patient Tony D. Head, souffrant d’un cancer, ne l’appellerait peut-être pas «Dieu», mais une puissance extraordinaire l’a touché pendant sa séance de thérapie psychédélique assistée. «C’était tellement puissant et profond que ça m’a coupé le souffle», raconte Tony D. Head, sujet de recherche dans une nouvelle étude de psychothérapie par la psilocybine, le principe actif qu’on retrouve dans les champignons hallucinogènes. «Quoi qu’il en soit, ce pouvoir fait partie de l’univers», a-t-il ajouté après sa séance à l’école de médecine de l’Université Johns Hopkins à Baltimore. «J’ai l’impression que cela a changé ma vie».

Tony D. Head, un acteur qui a joué le rôle du Major Bobby Reed dans la série populaire «Sur écoute» (The Wire), a fait partie des 80 patients atteints d’un cancer qui se sont portés volontaires pour participer à deux études. Les résultats ont été publiés début décembre par les chercheurs de l’Université Johns Hopkins et de l’Ecole de médecine de l’Université de New York.

Des essais cliniques séparés, mais similaires ont été conçus pour voir si une seule dose de psilocybine pouvait réduire les troubles psychologiques et la détresse existentielle chez les patients avec un diagnostic menaçant la vie. Dans un communiqué de presse, l'Université Johns Hopkins a déclaré que le médicament avait été administré «dans des conditions strictement contrôlées en présence de deux chercheurs spécialisés dans ce domaine» et que l'utilisation du composé n'était pas recommandé «en dehors d'une telle recherche ou de soins aux patients.

Une drogue illégale

La psilocybine est illégale dans de nombreux pays. Aux États-Unis, elle fait partie de la même catégorie que l’héroïne, la marijuana et le LSD en tant que substance contrôlée de l'annexe I, ce qui signifie que, selon le gouvernement fédéral, qu’elle ne fait pas partie actuellement des substances «utilisées pour un traitement médical».

Pourtant, les essais ont suggéré que les sentiments spirituels déclenchés par le médicament pouvaient jouer un rôle dans l'atténuation de la dépression et de l'anxiété grave, en particulier lorsqu'il s'agit d'une maladie mortelle. «Beaucoup de patients ont dit quelque chose comme: ‘Maintenant, j'ai expérimenté la mort du corps, je n’ai plus si peur’. Et ils dépassent leur situation», a constaté Stephen Ross, chercheur à l'Université de New York.

L'étude menée auprès de 51 patients dépressifs atteints de cancer a montré une réduction de la dépression chez 92% de ceux qui ont reçu une dose élevée de psilocybine psychédélique, comparativement à seulement 32% parmi ceux qui ont reçu une dose extrêmement faible. Des tests par rapport à leur état dépressif ont été effectués cinq semaines après la séance de psilocybine.

Un mieux-être significatif

Les chercheurs de l’Université de New York ont constaté que 83% des volontaires traités avec de la psilocybine avaient une réduction significative des symptômes de dépression sept semaines après qu'ils ont reçu une dose unique du composé psychédélique. Dans le groupe témoin, qui lui a reçu un placebo à base de niacine, seulement 14% des patients ont vu une amélioration de leur état psychique. Il y avait au total 29 sujets de recherche dans ce groupe.

Les deux équipes de recherche ont constaté que l'amélioration de l'humeur durait environ six mois après les séances psychédéliques. Ceux qui ont reçu au hasard les pilules placebo dans les essais en double aveugle ont pu par la suite subir une session de psilocybine à haute dose, et ils ont également montré des améliorations psychologiques significatives à long terme.

Stephen Ross, le directeur de la psychiatrie spécialisée dans les addictions, au Centre médical Langone de l’Université de New York, a précisé que la moitié des bénévoles de New York qui ont participé à l'étude se sont décrits comme agnostiques ou athées, et l’autre moitié ayant une sorte d'appartenance religieuse. Un nombre égal de personnes dans les deux groupes ont eu des expériences qui ont pu être qualifiées de «mystiques». «Les gens décrivent être en contact avec des éléments impressionnants, avec quelque chose de sacré. Ils décrivent un sentiment d'amour infini, de paix, d’humilité, et ont l’impression d’être transportés à nouveau dans leur vie. Ils ont décrit un sentiment d'unité interne et externe», a ajouté le directeur de la psychiatrie.

D'autres études ont constaté qu'entre 30 et 40% des patients atteints de cancer en milieu hospitalier endurent des niveaux cliniquement significatifs de dépression et d'anxiété grave. Tony Head a été diagnostiqué en 2011 d’un cancer de la prostate métastasé et avec une espérance de vie de moins de cinq ans – un laps de temps qu’il a déjà dépassé. Il a entendu parler de l'étude par son oncologue, mais a pris une année pour se décider à être volontaire et il a ainsi passé par un processus de sélection rigoureux. Agé de 64 ans, Tony Head avait déjà essayé une drogue hallucinogène, de la mescaline avec une petite amie au collège, mais «cela n’avait pas vraiment eu d'effet hallucinogène».

Un environnement optimal

Les volontaires des deux essais cliniques portaient des masques sur les yeux et écoutaient de la musique avec des écouteurs tout en voyageant grâce aux effets des champignons magiques synthétisés. Les séances, qui peuvent durer de six à dix heures, se déroulent dans des espaces qui ressemblent plus à des salles de séjour qu’à des laboratoires de recherche.

Tony Head a dit avoir senti son corps disparaître, ce qui initialement lui faisait très peur. Il avait l’impression de flotter dans un espace sombre et infini. «Ensuite, j'ai vu une boule de couleurs. Elle est venue vers moi et j’ai eu un peu peur, mais elle a glissé sur moi et j'ai ressenti un merveilleux sentiment de sécurité où rien ne pouvait plus m’arriver». «Je ne suis pas une personne religieuse. Je ne vais pas à l'église», a ajouté Tony Head, lors d'une entrevue téléphonique. «La psilocybine ouvre une trappe dans votre cerveau. Elle vous permet de passer dans une dimension à laquelle vous n’avez pas accès normalement… Elle m'a juste aidé à appréhender ma mort, contrairement à ce que j’avais pensé, ce ne sera pas horrible et effrayant. C'est comme s'il y avait quelque chose de l'autre côté, et c'est bon».

Selon Roland Griffiths, le chercheur principal de l'équipe de Johns Hopkins, la découverte la plus extraordinaire de cette étude est qu'une dose unique d'un médicament peut avoir de tels effets positifs à long terme sur l'humeur des volontaires. «Il est plus approprié de dire que c'est l'expérience associée à la prise de psilocybine qui leur a donné ces effets durables, plutôt que la drogue elle-même», a-t-il précisé.

Une expérience mystique authentique?

Roland Griffiths, professeur au département de psychiatrie et de neurosciences de Johns Hopkins, a déclaré qu'il était conscient que certains croyants peuvent se demander si un état mystique induit par la drogue était une «expérience religieuse authentique». «Les expériences mystiques occasionnées par la prière sont-elles plus authentiques que les expériences mystiques spontanées sans médicaments? Et si quelqu'un médite, mais ne prie pas Dieu? La préparation par le jeûne est-elle «authentique»? Et qu'en est-il d'une expérience mystique qui se passe en marchant dans la forêt», s’est interrogé le médecin.

Ensemble, les deux essais cliniques coûtent environ deux millions de dollars. Tous deux ont été financés par l’Institut de recherches Heffter à Santa Fe, dans l’Etat du Nouveau-Mexique, un organisme privé à but non lucratif qui a dispensé 6,7 millions de dollars depuis 1993 pour soutenir la recherche sur les utilisations bénéfiques des drogues psychédéliques.

Les défenseurs de la thérapie assistée par la psilocybine espèrent que l’Administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments (U.S. Food and Drug Administration) approuvera une série de recherches élargies dans différents sites à travers le pays, la dernière étape d'un effort de plusieurs décennies pour persuader le gouvernement de reclassifier la drogue et de permettre ainsi son utilisation par des médecins et thérapeutes.

D'autres recherches en cours utilisent de la psilocybine et de la MDMA, également connue sous le nom d’ecstasy, comme outils thérapeutiques pour traiter le syndrome de stress post-traumatique, l'alcoolisme et la toxicomanie. Mi-décembre, l’Administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments a approuvé des essais cliniques élargis pour le traitement des troubles de stress post-traumatique au moyen de la MDMA. Cette recherche a été financée par l'Association multidisciplinaire pour des études psychédéliques (Multidiscipinary Association for Psychedelic Studies), basée à Santa Cruz, en Californie.

Des résultats approuvés

Les réactions des spécialistes aux nouveaux résultats de l’étude sur la psilocybine ont été incluses dans l'édition de décembre 2016 de Journal of Psychopharmacology, où les deux études ont été publiées.

Herbert Kleber, professeur de psychiatrie de l'Université de Columbia, a été impressionné que deux équipes distinctes utilisant différentes approches et différents tests pour mesurer la dépression et les expériences mystiques aient toutes deux constaté que le traitement psychédélique avait clairement eu des effets positifs sur les patients.

Jeffrey Lieberman, ancien président de l’Association américaine de psychiatrie, a déclaré que ce genre de recherche psychédélique devrait continuer, soulignant «un impératif éthique et de santé publique d’utiliser toutes les possibilités pour poursuivre la recherche de nouveaux agents thérapeutiques». Jeffrey Lieberman, également responsable de la psychiatrie au Collège de médecine à l’Université Columbia a ajouté que les études de l’Université de New York et de Johns Hopkins études «servaient de modèle pour revisiter les intérêts contradictoires d'une manière sûre et éthique».

De son côté, Paul Summergrad, président de l'Ecole de médecine de l'Université Tufts, a noté que les expériences psychédéliques et la maladie mentale sont à la fois «des états neurologiques hautement complexes ... touchant notre moi profond et la société humaine. Comprendre comment ces expériences s'intègrent dans la guérison, le bien-être et notre compréhension de la conscience peut remettre en cause de nombreux aspects dans la façon dont nous pensons la santé mentale. Mais ces études bien récentes et bien menées nous confrontent à cette problématique».