Les non pratiquants veulent encore le baptême

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Les non pratiquants veulent encore le baptême

Noriane Rapin
30 janvier 2017
Les familles non pratiquantes sont nombreuses à demander le baptême protestant pour leurs enfants. Ces demandes sont motivées par la volonté d’un rite autour de la naissance et parfois par un attachement à la tradition familiale. Un défi pour les Eglises réformées.

«Je dirais que les baptêmes sur la demande de familles non pratiquantes représentent environ... 99% de tous ceux que je fais.» Même s’il le dit sur le ton de la boutade, le pasteur Benjamin Corbaz, de la paroisse de Savigny-Forel, met le doigt sur un paradoxe de son ministère: de nombreuses personnes qui ne se rendent plus du tout à l’Eglise continuent de demander le baptême pour leurs jeunes enfants, quand bien même ils ne donneront sans doute pas une éducation spécifiquement chrétienne à ces derniers par la suite.

Ces demandes sont pour le moins étonnantes, sachant que notre époque valorise plutôt le libre choix de la croyance et l’indépendance vis-à-vis des institutions religieuses, et que le baptême est un acte confessant par excellence. «Il y a deux manières de comprendre le baptême pour les chrétiens», explique Olivier Bauer, professeur de théologie pratique à l’Université de Lausanne. «La première considère que le baptême est signe de la grâce de Dieu. La deuxième l’établit comme acte public d’entrée dans l’Eglise. Souvent, les deux conceptions sont mélangées, avec un accent placé sur l’une ou l’autre.»

Rite et tradition

«Pour les gens, c’est d’abord le rite qui est important», analyse encore Benjamin Corbaz. «Ils conçoivent le baptême comme un rite de naissance. Il s’agit de marquer le coup, de se réunir et de fêter.» Olivier Bauer abonde dans le même sens: «Il n’existe pas tellement de rites autour de la naissance dans les autres religions, ce qui explique le succès du baptême. Il y a quelques années, certaines Eglises romandes ont mis sur pied un rite de “présentation” du bébé (NDLR. L’enfant est présenté à la communauté pendant le culte sans être baptisé). Mais la présentation n’a jamais eu beaucoup de succès: il fallait être bien engagé dans l’Eglise réformée pour avoir idée de le demander. Pour les autres, il s’agissait d’un baptême sans eau, et cela n’avait donc aucun intérêt!»

Mais l’aspect traditionnel semble garder aussi une certaine importance. Certaines familles souhaitent donner un repère à leurs enfants. «Quand on demande aux gens s’ils sont chrétiens, souvent ils se réfèrent à leur baptême», souligne le professeur. «C’est un moment important. Il crée un lien avec l’Eglise, au point que certaines personnes demandent à être rayées des registres de baptêmes, comme si le fait que leur nom y apparaisse signifie qu’ils sont rattachés à l’institution. Pour les parents, c’est un moyen d’ancrer leur enfant dans une tradition familiale, mais cela n’engage pas à grand-chose.»

Un problème pour l’Eglise?

Ce lien ténu avec l’Eglise peut-être perçu comme problématique pour cette dernière, car à certains égards il est insuffisant. «Je précise toujours aux familles que le baptême n’est pas une fin en soi, qu’il appelle une suite», affirme Benjamin Corbaz. «Mais il n’y a pas toujours de suite.» Ce flottement s’explique par la signification du baptême, concrétisée dans son déroulement: «Dans les liturgies réformées, on baptise toujours avant que les engagements soient pris», explique Olivier Bauer. «C’est intéressant au niveau du rite: on laisse la liberté aux parents, puisque le baptême est signe de la grâce de Dieu donnée indépendamment de toute contrepartie. Mais les engagements deviennent assez minces: il n’y a quasiment plus d’engagement pris vis-à-vis de l’éducation chrétienne de l’enfant.»

Si globalement les réformés ont un seuil d’exigence relativement bas et accueillent toutes les demandes, un scandale a ébranlé l’Eglise évangélique réformée vaudoise il y a une quinzaine d’années. Une pasteure a en effet refusé un baptême à des parents non pratiquants, qui ont fortement réagi et revendiqué ce qu’ils considéraient être un droit. Pour Olivier Bauer, il y a deux alternatives: «L’Eglise peut soit se replier sur ses biens propres, être stricte et mettre ses conditions, soit se dire que le baptême est un signe de la grâce de Dieu à distribuer largement. Il arrive que les familles concernées réintègrent une communauté paroissiale si elles se sont senties bien accueillies. Il s’agit d’une porte d’entrée à ne pas négliger puisque les demandes sont encore très fréquentes.»