Pain pour le prochain, actionnaire de la BNS?
Aujourd’hui, quand on parle de justice climatique, on dresse un constat plutôt simple: la majorité des pays qui subissent le réchauffement climatique sont ceux qui y ont le moins participé. En effet, c’est bien dans les pays développés que l’on investit le plus dans les énergies non durables et, surtout, que l’on pollue assez impunément. Ceci bien qu’une certaine tendance, notamment populaire, pousse la planète à se réveiller sur ces questions. Dans le cadre de leur Campagne de carême 2021, les deux œuvres d’entraide Action de Carême et Pain pour le prochain, respectivement catholique et protestante, ont lancé, le 17 février dernier, une pétition intitulée «BNS, désinvestissez des énergies fossiles!» Une opération menée par Yvan Maillard, spécialiste en justice climatique de Pain pour le prochain, qui interviendra directement à l’assemblée générale de la BNS, afin de l’interpeller sur le sujet des énergies non renouvelables.
Mais comment siéger dans cette assemblée sans faire partie des actionnaires? En le devenant! Récemment, Pain pour le prochain, membre de l’Alliance climatique, a cassé sa tirelire afin d’acquérir une action de la BNS, d’une valeur d’environ 5000 francs. Le but? Qu’Yvan Maillard puisse brandir les signatures qu’il espère récolter devant «le conseil de banque et tous les actionnaires, principalement des cantons et des privés». Rappelant qu’à la fin 2019, la BNS détenait près de six milliards de dollars en actions dans des entreprises produisant des énergies fossiles, Yvan Maillard souhaite marteler que l’institution bancaire de notre pays est capable de mieux faire, et «d’être proactive dans la recherche d’investissements durables». La stratégie actuelle, selon Miges Baumann, responsable de la politique de développement de Pain pour le prochain, favoriserait «une trajectoire de réchauffement climatique de quatre à six degrés», une fourchette qui dépasserait largement le niveau convenu dans l’accord de Paris sur le climat.»
L’effort du charbon
La BNS avait pourtant fait quelques efforts jusqu’ici. Notamment en sortant ses investissements des mines de charbon en décembre 2020. Une étape «minimum» selon Yvan Maillard. «La BNS a désinvesti dans des entreprises soit en faillite soit dont le cours de l’action avait extrêmement baissé, et cela représentait seulement cinq entreprises dans toutes celles qui constituent son portefeuille d’actions.» Selon Antoine Amiguet, avocat et vice-président de l’association Sustainable Finance Geneva, les énergies fossiles ne concernent encore qu'une petite partie des investissements que la BNS pourrait réexaminer. «La BNS sera sans doute appelée à suivre à l'avenir des règles encore plus strictes en matière de durabilité. Droits humains et bonne gouvernance font également partie des domaines que devrait respecter chaque entreprise dans laquelle la BNS place de l’argent.»
Contactée, la BNS se dit toutefois très prudente et de plus en plus sérieuse quant à l’examen de ses investissements futurs ou de ceux en cours. «La BNS s’abstient d’acheter des actions d’entreprises qui violent massivement des droits humains fondamentaux, qui causent de manière systématique de graves dommages à l’environnement ou qui sont impliquées dans la fabrication d’armes condamnées sur le plan international», explique Alain Kouo, chargé de communication à Berne. Toutefois, une partie du portefeuille d’actions reste, selon Yvan Maillard, totalement secret, et les récentes déclarations de Thomas Jordan dans «Le Temps» du 5 février dernier, ne sont pas pour le satisfaire. «Selon le président du directoire de la BNS, certaines actions sont maintenues dans des entreprises versées dans les énergies fossiles, car ces dernières auraient promis d’entamer une transition vers le durable. Mais il faudrait des décennies aux entreprises pétrolières pour être capables d’être vraiment dans la transition. 99% de leur chiffre d’affaires est généré par les énergies fossiles et 1% se concentre sur les énergies d’avenir.»
Transition économique
Mais une transition écologique est-elle compatible avec une transition économique? Est-il possible de gagner autant d’argent avec le vert? Pour Antoine Amiguet, une meilleure prise en compte des critères de durabilité par la BNS est tout à fait possible: «Évidemment, il faut être très prudent quand vous changez la composition d’un portefeuille. Opérer des modifications importantes de manière trop brusque peut avoir des impacts négatifs sur son rendement. Mais cela peut se faire par étapes.» La BNS, ainsi souvent accusée d’être en retard sur sa prise de conscience éthique, affiche de la précaution à ce sujet, mais un engagement visible: «Il s’agit surtout d’évaluer correctement les conséquences du changement climatique pour l’économie, la stabilité financière et la gestion de nos réserves monétaires, afin de pouvoir remplir notre mandat légal en tout temps. C’est pourquoi nous collaborons étroitement avec d’autres banques centrales, notamment au sein du Réseau des banques centrales et des superviseurs, pour le verdissement du système financier.»
Selon Antoine Amiguet, la pression du public et des politiciens, «de plus en plus éduqués et informés sur les questions liées à la finance durable», aura raison de ce qui n’est donc plus tout à fait un statu quo. «Il est vraisemblable qu’à terme, la BNS adapte complètement ses pratiques», se réjouit l’avocat. Et alors qu’il prépare son intervention du 30 avril, lors de laquelle il espère pouvoir justifier au moins 3000 signatures, Yvan Maillard, s’il croit pouvoir être entendu, se rappelle tout de même que les récentes sollicitations politiques, instiguées dans le même sens que son ONG, n’ont jusqu’alors jamais porté leurs fruits: «Je crois qu’on peut se laisser surprendre par la BNS, mais nous avons en tête les motions parlementaires du côté des Verts et des socialistes, qui n’avaient eu aucun succès.»