Lutte contre la traite des êtres humains: moins de contrôles policiers, davantage de formation

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Lutte contre la traite des êtres humains: moins de contrôles policiers, davantage de formation

Joël Burri
23 mars 2017
«Les victimes de traite des êtres humains dans l’asile: la pratique suisse à l’épreuve.» Ce thème a occupé lundi les intervenants auprès des migrants à l’occasion d’un colloque. Manque d’information tant du côté des victimes que des intervenants et normes sécuritaires qui passent avant la protection des droits de migrant sont autant de raisons qui mettent à mal la lutte contre l’exploitation humaine.

«Dans les situations d’urgence, le trafic d’être humain n’est pas une éventualité, c’est une réalité!», a rappelé Maria Grazia Giammarinaro, rapporteuse spéciale de l’ONU sur la traite des êtres humains, lundi en ouverture d’un colloque consacré à cette problématique dans le domaine de l’asile en Suisse. Entre nécessité de financer leur voyage et la perte de leur réseau, les migrants sont particulièrement vulnérables. La traite des êtres humains prend plusieurs formes allant de la prostitution forcée à l’esclavage notamment dans l’agriculture, en passant par le mariage forcé. Et les enfants ne sont pas épargnés. Et dans le chaos des régions où les migrants affluent par centaines de milliers, les Etats sont débordés. Dans certaines de ces zones jusqu’à 40% des migrants sont exploités.

Ce colloque organisé par le Centre social protestant, l’association tessinoise May Day, l’Association de soutien aux victimes de traite et d’exploitation Astrée et le FIZ, Centre d’assistance aux migrantes et aux victimes de la traite, a laissé une large place à la pratique suisse en la matière. Dans notre pays, une septantaine de cas sont signalés chaque année, a annoncé Pierre-Alain Ruffieux, chef de service au sein du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM). Mais le fédéralisme ne facilite pas le travail de détection, puisque les migrants passent rapidement de l’autorité fédérale aux autorités cantonales, laissant peu d’espace à la détection des victimes de la traite qui sont à 80% des femmes, selon les chiffres du SEM. En outre, «Dublin leur est défavorable», a souligné pour sa part Nicolas Le Coz, ancien président de Groupe d’experts sur la traite des êtres humains. Le transfert d’une autorité à l’autre mettant à mal le suivi des personnes.

«Quand j’entends que vous n’allez voir les personnes qu’une seule heure. Je me dis, mais comment faire une évaluation avec une personne repliée sur elle-même», c’est exclamé Olaf Makaci, psychiatre et membre de la Fondation LAVI (aide aux victimes) Neuchâtel, s’adressant aux 200 personnes environ qui composaient le public, pour la plupart intervenants dans le domaine de l’asile. Les personnes ayant vécu un traumatisme d’origine naturelle parviennent le plus souvent à le gérer. Mais les personnes traumatisées par un tiers malveillant peuvent avoir beaucoup plus de peine. «Il y a transgression des lois les plus élémentaires régissant l’humanité», souligne le psychiatre. Poser un diagnostic nécessite donc de rétablir une relation de confiance avec une personne qui ne croit plus en l’humain.

Les victimes se sentent redevables

Le professionnel a également souligné qu’un autre écueil à la détection des victimes réside dans le fait qu’elles se sentent souvent redevables envers leur agresseur, qui peut être un membre de la famille ou un passeur qui a mêlé aide et malveillance. Les victimes sont donc souvent les premières personnes qu’il faut former. Le SEM donne ainsi des informations dans ce sens lors de l’accueil de requérant d’asile. Une information que l’autorité entend renforcer d’ici 2019. «Les victimes de la traite sont à mille lieues d’imaginer que leur situation est un motif de demande d’asile», a également mentionné Nicolas Le Coz.

Mais le personnel en contact avec les migrants doit aussi être sensibilisé à cette question. «Ce que l’on constate c’est que lorsque les dossiers sont évalués, les fonctionnaires accordent peut de crédit aux histoires de traite les plus sordides», a déclaré pour sa part Constantin Hruschka de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR). «Ils ne peuvent pas s’imaginer de telles situations et se disent: “la personne doit mentir, cela ne peut pas être vrai”. Des chercheurs ont étudié ce phénomène et l’ont baptisé “le biais de Heidi”, en référence au personnage vivant dans un paysage idyllique.»

La sécurité du territoire avant les droits humains

Lors de son intervention, Bärbel Heide Uhl, consultante indépendante en Droits de l’homme a constaté que «le sécuritarisme n’est pas compatible avec le lutte contre la traite des êtres humains.» La situation des victimes se péjore donc avec chaque nouvelle mesure de «lutte contre le terrorisme.» Un constat qui fait échos aux propos de Maria Grazia Giammarinaro: «les opérations de police ne sont pas efficaces dans la question de la traite. Il faudrait d’abord rechercher les situations de forte détresse.» Elle a conclut son intervention par le constat cinglant: «le manque de volonté total des gouvernements de chercher des solutions en la matière.»