Sylvie Staub: «Puissé-je tout accueillir comme un cadeau»
Le livre étonne. Par son titre, Cellules, je vous aime (Editions Cabédita, 2019). Par sa démarche, double. D’une part, ce Récit d’une guérison inattendue dénonce les défauts du système médical, ou plutôt les conséquences de la pensée autoritaire qui l’imprègne; d’autre part et surtout, c’est un itinéraire spirituel aux antipodes de la colère – littéralement au-delà du bien et du mal. Car la guérison physique, en partie inexpliquée, survient au fil d’une évolution de conscience. Qui est donc cette Sylvie Staub qui, quinze ans après un cancer déclaré incurable, et trois récidives, retrace ce parcours initiatique, stimulant ainsi espoir et réflexion? La psychothérapeute et auteure Sylvie Galland apprécie «son intelligence rapide, son ouverture, son franc-parler, l’intensité de sa recherche, son aisance à montrer ses émotions et son attitude chaleureuse. Je l’ai vue se dégager de son sens critique un peu trop aigu, de son passé difficile, s’adoucir.»
Dans son chalet au bout d’un petit chemin de Savigny (VD), Sylvie Staub raconte, à la fois spontanée et réfléchie, avec des pauses dans le débit rapide de sa parole. Elevée à Lausanne par des parents protestants nés tous deux à Paris dans des familles suisses expatriées, elle renonce aux études de médecine, après son bac latin-grec. Enceinte à dix-huit ans et demi – «J’étais pourtant précautionneuse! Mes amies parlaient de mon Immaculée Conception…» – elle ne pense pas à avorter, car on ne coupe pas le fil de la vie. Elle devient infirmière, élève sa fille, travaille au CHUV, découvre les soins palliatifs avec Paul Beck, infirmier chef en radiothérapie et cofondateur de la Fondation Rive-Neuve, où elle s’engage.
L’année de ses 40 ans, épouse d’un économiste avec qui elle a eu deux enfants, elle se découvre atteinte d’un cancer bientôt déclaré incurable. Début du processus maladie-guérison ponctué de retards, d’erreurs, d’opérations et de propositions de traitements en forme de dilemmes qui, de souffrances et d’angoisse en révélation, fera de Sylvie Staub la femme qu’elle est aujourd’hui.
Elle survit deux ans avec l’idée qu’elle va mourir; deux médecins particulièrement attentifs la guident, ainsi que la foi en sa voix intérieure, qui lui donne la force de refuser la radiothérapie «de la dernière chance». Celle qui en réalité aurait interdit l’opération salvatrice offrant, selon l’oncologue, «une demi-chance».
Une ultime récidive lui fait lâcher tout espoir. Dans cet abandon, un matin de 2005, elle se sent guérie. (Ce que les tests confirmeront jusqu’à la fin du suivi usuel.) L’évolution des relations familiales sous les effets de la maladie mériterait un autre article; revenons à la clef intérieure de la guérison indiquée par le titre. Aimer ses cellules… cancéreuses? Sylvie Staub rit et cite la prière qui l’a aidée à changer sa vie: «Puissé-je tout accueillir comme un cadeau.»
Même la perspective de la mort? «Quand j’ai entendu le diagnostic mortel, j’ai basculé dans un autre temps, ce n’était plus celui de la vie, horizontal et linéaire, mais quelque chose qui ressemble au Bardo des Tibétains, le temps de la mort, vertical et… éternel.» La souffrance alors change de nature; paradoxalement, Sylvie se sent mieux outillée face à elle que contre les «petites souffrances permanentes, relationnelles, de la vie normale.» Les secondes sont chroniques, en forme d’impasse, alors que «quand on est condamné, on est dans l’aigu de la souffrance, un autre monde, une autre lumière.» Elle cesse d’espérer et d’attendre, seul compte le présent.
«Ne plus faire dépendre mon présent d’une supputation du futur. Tout accueillir comme un cadeau, voilà la foi. Peut-être que la mort annoncée serait un plus grand bien? En tout cas, en restant intensément dans le présent, on est en paix puisqu’on ne met plus d’énergie à s’inquiéter du futur.»
Ajoutez à cette sérénité durement conquise et précieusement préservée la notion que Dieu est conscience, et qu’il privilégie «le bon plaisir». Explication: «dans la Genèse, il est dit sans cesse ‹Dieu vit que cela était bon›. Lors du baptême de Jésus, la colombe dit: ‹Voici mon fils bien-aimé, en qui j’ai mis mon bon plaisir.› Auparavant, les anges avaient chanté aux bergers de Bethléem: ‹Paix sur la terre et aux hommes de bonne volonté› – or ce terme est le même, on pourrait traduire ‹aux hommes de bon plaisir›. Ce Dieu nous invite à cultiver les bons plaisirs.»
Après la mort
A sa foi en un Dieu qui est vie, conscience et plaisir s’ajoute une conviction intime. Testant son ressenti devant la proposition «il n’y a rien après la mort», elle s’est vue «ratatinée, glacée, en train de fondre et de se durcir». A la proposition contraire, «je me suis sentie légère, respirant pleinement. Lumière, chaleur, expansion. J’ai choisi ma vérité. Un pari de Pascal basé sur le ressenti et non le calcul!» Une foi vécue, que renforce la méditation de pleine conscience, qu’elle enseigne aujourd’hui.
Bio express
Naissance à Lausanne en 1962. Père publicitaire, «une encyclopédie vivante». Naissance de sa fille en 1982, suivie de ses demi-frère et sœur en 1989 et 1993. En 2002, infirmière en soins palliatifs, elle quitte la Fondation Rive-Neuve pour changer d’horizon. Le même mois, une tumeur se déclare. Chimiothérapie, quatre opérations, une transformation spirituelle, elle se sent guérie un beau jour de 2005. «Lente germination» par la méditation. En 2019, elle publie le livre sur lequel elle planche depuis 2006.