Une «deuxième vague» de difficultés sociales?
A Lausanne, comme dans le canton de Genève, les images ont frappé les esprits: des files toujours plus longues de personnes patientant pour manger, ou pour bénéficier d’un colis alimentaire de première nécessité. Comme dans tout le pays, les besoins d’aide sociale ont brutalement augmenté, et parfois été multipliés par trois ou quatre. Le Centre social protestant (CSP), Caritas, la Fondation Mère Sofia, le Point d’Appui géré par les Églises catholique et protestante et la paroisse Saint-Jacques ont maintenu, adaptés, parfois élargi leurs services durant la pandémie. Et se sont effectivement vus pris d’assaut. De nouveaux lieux d’aide ont même vu le jour, comme l’épicerie sociale créée par les pasteurs retraités Jean Chollet et Daniel Fatzer à Saint-Laurent.
L'explosion de l'aide directe
Les besoins les plus manifestes? L’aide directe, pour pouvoir s’alimenter ou payer son loyer, constatent les associations. Les chiffres sont éloquents: Caritas Vaud et le CSP ont lancé un fonds commun qui a fourni des bons alimentaires et permis de régler des factures liées au logement. Si, d’ordinaire, les deux organisations apportent de petits coups de pouce financiers dans des situations de suivi, elles se sont soudain retrouvées pourvoyeuses de soutien massif. «Au 12 mai, le CSP et Caritas ont versé 430 000 francs d’aides directes, à 400 ménages», résume Olivier Cruchon, à la tête du secteur Action sociale chez Caritas Vaud. L’organisation gère aussi la Centrale alimentaire de la région lausannoise, d’où les aliments et produits de première nécessité collectés sont distribués à une trentaine d’associations d’entraide, dont les paroisses. «Avec l’aide de la protection civile, nous avons tourné à plein régime, sans fermer un seul jour.»
Un appui à tous les niveaux
L’aide a aussi pris d’autres formes: le CSP Vaud a par exemple élargi ses consultations de couple pour des familles qui, au cours du confinement, ont connu des périodes de stress et d’angoisse. Chez Caritas Vaud, les assistantes sociales ont été invitées à participer à des actions d’urgence en lien avec la pandémie (aides financières pour payer les loyers) et à collaborer plus étroitement avec les épiceries sociales de l’organisation, afin que les bénéficiaires puissent recevoir rapidement et localement des bons d’aide alimentaire. Leur accompagnement humain a aussi été crucial. «Il y avait déjà un besoin d’écoute et des conseils. Caritas Vaud et le CSP le font depuis des années, mais cette conjoncture a montré qu’elle était indispensable», assure Olivier Cruchon. Heureusement, au sein des deux organisations, le télétravail a pu s’organiser rapidement.
Aide inaccessible
La crise a jeté une lumière crue sur toute une population ne pouvant prétendre à une aide publique, et donc dépendante des soutiens associatifs: sans-papiers en situation d’illégalité, ou personnes au bénéfice d’un permis B, mais qui craignent de ne pas le voir renouvelé en cas de sollicitation de l’aide sociale. Plusieurs associations ont d’ailleurs demandé qu’exceptionnellement, le renouvellement d’un titre de séjour ne soit pas prétérité par le recours à des aides publiques durant la pandémie. La décision doit être tranchée au niveau fédéral. Le collectif Papyrus Vaud, qui milite pour la régularisation massive de sans-papiers sur le modèle de l’opération du même nom à Genève, estime que dans le canton, de 9'000 à 15'000 personnes ne bénéficient pas de situation de séjour régulière. Effectuant souvent des tâches non déclarées, notamment dans l’économie domestique, logées sans contrats formels, ces personnes ne peuvent pas faire valoir le droit du bail, et parfois encore moins celui des assurances sociales, qu’elles évitent de contracter, par crainte d’être fichées puis expulsées. Une étude récente de Médecins sans frontières et des Hôpitaux universitaires de Genève révèle que dans ce canton seuls 10% des sans-papiers possèdent une assurance maladie. «Parfois même, ces personnes renoncent à aller se faire soigner par manque d’argent ou par peur d’être listées… ce qui, notamment en cas de pandémie, peut engendrer de réels problèmes sanitaires», pointe Olivier Cruchon. Le collectif d’associations reste mobilisé pour faire advenir un Papyrus vaudois, rendu soudainement très actuel.
Des revenus incertains
Mais comme le relève le CSP, la crise a aussi surtout révélé la fragilité de certaines situations économiques, qui peuvent tout aussi bien concerner des personnes suisses: «personnes intégrées au marché du travail, mais de manière informelle avec des contrats déterminés, travaillant à l’heure, employés dans l’économie domestique, femmes qui restent à la maison et non payées, étudiants rémunérés à l’heure, petits indépendants actifs dans le nettoyage, le bâtiment, la restauration», sont autant de professionnel•l•e•s ayant perdu brutalement leurs revenus, analyse Bastienne Joerchel, directrice du CSP Vaud. Pour cette dernière, la fin du confinement ne marque pas la fin de la crise sociale, au contraire. Elle s’attend à un afflux de demandes, et craint même une «seconde vague sociale», car la situation des personnes «déjà fragilisées et précarisées» pourrait encore s’aggraver.
Hausse probable du surendettement
Celle des petits indépendants inquiète en particulier le CSP, puisque l’aide proposée initialement par la Confédération à leur égard consistait à leur consentir des prêts. Ce qui revient pour eux à s’endetter. «Or ces personnes travaillent à flux tendu pour payer leur propre salaire et auront de la peine à gérer endettement et remboursement», alerte Bastienne Joerchel. Une crainte partagée par Caritas Vaud, qui se prépare à une hausse du surendettement en Suisse dans les mois à venir. «Je pense en particulier aux personnes qui ont un statut de séjour et une situation, mais endettées à la suite de la diminution de leurs revenus, mais qui ne rentrent pas pour autant dans le barème des aides sociales. S’ils remboursent des crédits, s’ils ont souscrit des abonnements, leur situation va s’aggraver», anticipe Olivier Cruchon. Des personnes déjà endettées peuvent facilement basculer dans le surendettement à la suite d’une crise. Or le travail de désendettement prend beaucoup de temps, parfois plusieurs années. L’enjeu pour les services sociaux comme pour les associations d’entraide est donc de pouvoir faire face de manière adaptée à cette «deuxième vague». «Grâce à la Chaîne du bonheur et à d’autres fondations et entreprises, l’argent pour l’aide directe, on en a, et l’on espère en avoir encore pour la suite», complète Olivier Cruchon. «Quelque part, la ressource qui nous fait le plus défaut maintenant, ce sont des assistantes sociales capables de répondre à toutes les demandes.»
Surendetté·e, que faire?
- Contacter ses céranciers pour demander des délais de paiement. Même sans jursiprudence, ils peuvent se montrer compréhensifs.
- Une fois que les revenus sont de retour, construire un plan de paiement et commencer à payer une partie au moins des sommes dues.
- En cas de blocage ou d’impossibilité de payer, appeler la ligne Parlons cash où des interlocuteurs du CSP, Caritas ou de la Ville de Lausanne offrent des consultations spécialisées. Parlons Cash 0840 43 21 00.
Lausanne: faites vos dons!
La fondation Mère Sofia récolte des produits de première nécessité et des denrées alimentaires non périssables au chemin des Avelines 4, tous les jours, de 10h à 17h Infos : www.pin.fo/recolte.
A Saint-Laurent, les pasteurs sortants ont prévu une épicerie sociale dans l’église. Infos: direction@bateaulune.ch ou dfatzer@bluewin.ch.
La centrale alimentaire — région Lausanne peut être soutenue par un don CP: 10-10936-3, mention « CA-RL ». Pour les dons de marchandises, contacter jean.kaiser@caritas-vaud.ch, 079 813 85 97.
Point d’Appui recherche des bénévoles les 5 et 6 juin prochains pour une collecte de nourriture. Infos: 021 331 57 20 pointdappuivd@gmail.com.